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puissance d’inspiration des Van Eyck, grâce à leurs généreuses ardeurs, avaient conservé de la grandeur, sinon de la beauté, devinrent, sous le pinceau de Roger, d’une laideur désespérante. Dans ses sujets favoris, les Scènes de la Passion, la Crucifixion, la Descente de croix, la Mise au tombeau, le Christ offre invariablement des traits vulgaires et vieillis, un corps décharné. Ce n’est plus un dieu, c’est un homme, et quel homme ! le plus pauvre, le moins sympathique de tous ! La Vierge, d’ordinaire perdue dans sa douleur, et vêtue du costume le plus disgracieux, n’éveille, elle aussi, que les idées les plus attristantes.

Roger ne manquait pas d’une certaine puissance dramatique. Dans le célèbre Jugement dernier de Beaune, qu’on lui attribue à peu près unanimement, ces damnés, avec leurs yeux écarquillés, leurs grincemens de dents, les contorsions de tous leurs membres, cramponnés les uns aux autres ou se déchirant, ces femmes échevelées, ces hommes hideux, tirant la langue, peuvent se mesurer, pour la crudité de l’expression, avec les damnés sculptés sur la façade du dôme d’Orvieto, avec ceux que Signorelli peindra cinquante ans plus tard à l’intérieur du même monument. Cependant, quelque énergie que l’artiste flamand ait déployée dans ces scènes horribles, ses créations nous touchent moins, pourquoi ? C’est que de tels sujets comportent difficilement les dimensions de la miniature, et, en réalité, le retable de Beaune n’est pas autre chose. Roger faisait petit, même en abordant des sujets grandioses.

Le maître n’a pas moins méconnu les principes fondamentaux de toute ordonnance. Prenons le triptyque du musée de Berlin, avec la Naissance de saint Jean-Baptiste, le Baptême du Christ et la Décollation de saint Jean-Baptiste. Malgré son encadrement architectural, la composition manque essentiellement de netteté. C’est toujours la même profusion d’ornemens, ce sont les mêmes nus maigres et prosaïques (que les personnages ont raison de rougir de leur nudité ! ), les mêmes hiatus, la même cacophonie. Pas un groupe régulièrement composé, pas une draperie arrangée simplement, pour ne pas dire avec élégance, pas une physionomie sans grimace. L’Adoration des Mages, elle aussi conservée au musée de Berlin, pèche par les mêmes défauts. Prises individuellement, les figures sont très vivantes et pleines de caractère (ce sont généralement des portraits plus ou moins arrangés, plus ou moins idéalisés), mais elles forment les unes avec les autres une série de dissonances qui soumettent à de rudes épreuves tout œil une fois familiarisé avec l’ordonnance classique. De même que les types sont particulièrement disgracieux (l’Enfant Jésus étendu sur le sol est un véritable monstre), de même les lignes générales sont