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nette et très saisissante. Il importe de constater à cette occasion une particularité, ou plutôt une loi du réalisme italien : dans la Sainte Cène, comme dans toutes les compositions d’Andréa del Castagno, ainsi que dans toutes celles de Paolo Uccello, de Piero della Francesca, de Masolino et de Masaccio, l’architecture est imitée des ordres classiques. Est-il un témoignage plus frappant de l’influence exercée par l’antiquité sur les réalistes de la péninsule ?

On est heureux, après avoir étudié l’œuvre si rude et si heurté de réalistes de la trempe de Paolo Uccello et d’Andréa del Castagno, d’avoir à faire connaissance avec des réalistes, disons mieux, des naturalistes d’une tournure d’esprit aussi distinguée que Pisanello et Piero della Francesca. Eux aussi s’attachent uniquement à l’étude de la nature, où le beau et le laid se rencontrent indifféremment, mais du moins ils n’en proscrivent pas systématiquement tout ce qui peut charmer le regard ou élever la pensée.

C’est que le naturalisme de Pisanello a quelque chose de libre, de primesautier, de vif, de pénétrant ; la légèreté l’attire plus que l’ampleur ; il recherche les formes à la fois gracieuses et vigoureuses, et sans avoir élaboré telle ou telle formule, sans s’être proposé tel ou tel idéal, il donne à ses physionomies un air distingué et spirituel qui tient lieu de beauté. Dans ses esquisses à la plume ou à la mine d’argent, Pisanello est le prédécesseur de nos grands dessinateurs du siècle dernier, de même que, dans ses médailles, il a ouvert la voie à nos grands médailleurs du règne de Louis XIII et du règne de Louis XIV, les Dupré et les Warin.

Comme Paolo Uccello, Pisanello excellait dans la représentation des animaux. Fazio parle de son habileté à peindre les chevaux. Nous en voyons, en effet, sur ses médailles un certain nombre esquissés avec une sûreté rare : ce sont des chevaux de labour, toutefois, plutôt que des coursiers épiques dans le genre de ceux d’Uccello. De nombreux autres quadrupèdes ou bipèdes paraissent soit sur ses dessins du Louvre, longtemps attribués à Léonard, de Vinci, et dignes de lui (sanglier, mulet, chiens, etc.), soit sur ses médailles. Ces dernières nous montrent surtout des aigles dépeçant un faon, et des chiens poursuivant un sanglier, figures qui, par la sobriété et la hardiesse du modelé, peuvent se comparer aux plus belles œuvres de l’antiquité. La nécessité de résumer en quelques traits, sur ses médailles si simples et si nettes, les caractères essentiels, soit des hommes, soit des animaux, a effectivement donné aux productions de Pisanello une concision extraordinaire. Jamais l’esprit de synthèse n’a été poussé plus loin, sans que le style ait cessé d’être éminemment plastique.

Chez Pisanello, le dessinateur et le médailleur éclipsent le peintre. Un artiste toscan, que l’on est constamment tenté de