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rapprocher de lui, grâce à la sincérité et à la distinction de son style, Piero della Francesca, excelle au contraire avant tout dans la peinture, qu’il a portée à un haut degré de perfection, tant par ses travaux sur la perspective que par ses études sur le coloris. Tout jeune, Piero étudia les mathématiques avec ardeur, et quoiqu’il eût embrassé, dès l’âge de quinze ans, la carrière des arts, jamais il ne renonça à ses études de prédilection. La géométrie et la perspective, telles furent les deux branches de cette science qu’il cultiva de préférence. Il composa même un traité de Quinque Corporibus, qui eut l’honneur d’être pillé par un de ses compatriotes, le fameux Luca Pacioli, l’ami de Léonard de Vinci.

A Florence, Piero s’inspira surtout des leçons de Paolo Uccello, auquel il prit avec son goût pour la perspective son goût pour la représentation des chevaux. Mais il tempéra le naturalisme grossier du maître florentin par sa distinction native, sa recherche des formes élancées, sinon toujours élégantes, enfin par un sentiment du coloris, dont la finesse, la délicatesse ont à peine été égalées par les plus éminens d’entre les peintres flamands contemporains.

Le plus original peut-être des ouvrages du maître est cette Résurrection du Christ, peinte à fresque dans l’hôtel de ville de Borgo San Sepolcro. On ne saurait imaginer une donnée plus réaliste du sujet. Les gardiens sont tout entiers au sommeil ; l’un appuie sur ses genoux sa figure couverte de ses mains ; un autre a rejeté sa tête en arrière pour la poser sur le bord du sarcophage ; le troisième semble dormir debout. Cependant, le supplicié, une partie de son corps nue, l’autre recouverte de draperies d’un jet admirable, sort lentement du tombeau, apparition grandiose, d’une originalité et d’une éloquence saisissantes : l’artiste, sans sortir des limites de la réalité, et proscrivant tout ce qui pourrait avoir un caractère légendaire ou surnaturel, y a créé un contraste profondément dramatique. Les types ne sont pas moins originaux que la conception même de la scène ; où Piero a-t-il pris ces physionomies si caractéristiques qu’il nous faut aller jusqu’à Velasquez pour en trouver le pendant ? La science des raccourcis, ce complément obligé de la perspective, est prodigieuse, les attitudes sont aussi aisées que savantes.

Après les deux générations, personnifiées, la première par Paolo Uccello et Andréa del Castagno, la seconde par Pisanello et Piero della Francesca, le réalisme italien perd de jour en jour du terrain. Sans doute, plus d’un quattrocentiste donnera aux acteurs de l’histoire sainte ou de l’histoire classique les traits et le costume de ses concitoyens, ou introduira dans des compositions sacrées des détails plus ou moins naïfs ; ils continueront surtout à cultiver le portrait, cette pierre de touche de la vitalité d’une école. Mais,