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héros du quatrième âge qui jouissent en paix du bonheur dans les îles Fortunées, sur les bords du profond océan. Ils cueillent trois fois par an des fruits doux comme le miel sur des arbres toujours en fleurs. C’est mieux que l’enfer du poète de Chios, mais quelle mélancolique demeure, et que de vides dans cette existence alanguie, où ne se trouve rien de ce qui fait le charme de la nôtre : l’effort pour l’action ou pour la pensée ! Deux ou trois siècles plus tard, Pindare accorda aux morts quelque chose de plus : il leur envoya un rayon de la gloire humaine. « Va, Écho, va porter par-delà les sombres murs de Proserpine, aux pères des vainqueurs de Delphes et d’Olympie, la nouvelle des victoires de leurs fils. » Et ailleurs : « Il faut donner aux morts une part de gloire ; la poussière qui les recouvre n’arrête pas le bruit des exploits accomplis par leur race. »

Cette religion, reflet de l’ancien état social, dispense parcimonieusement l’immortalité ; elle la promet seulement aux héros ; pour la foule, elle ne doit compter que sur les biens et les maux d’ici-bas. Ceux qu’on voit aux enfers récompensés ou punis sont, comme Tantale et Sisyphe, des rois qui avaient offensé les dieux ou des chefs à qui leur naissance et de glorieux exploits avaient valu le privilège de goûter les tristes plaisirs de la seconde existence. Pindare n’ouvre ses champs Élyséens qu’aux puissans ou aux victorieux qui ont en dans les veines quelques gouttes du sang divin, et il ne s’inquiète pas plus qu’Homère des petits et des humbles. La persévérance de ce sentiment fait comprendre la longue durée du pouvoir des Eupatrides, descendans des dieux ou des héros, et la violence des luttes qui éclateront entre les deux partis que Théognis appellera le parti « des bons » et celui « des mauvais. » En parlant ainsi, le poète aristocratique de Mégare prononçait des paroles de haine et de division ; mais dans l’Hellade des anciens jours, prévalait un sentiment contraire, celui qui se forme naturellement dans les sociétés barbares où, l’autorité publique étant faible, l’union dans la tribu doit être forte. Un lien de solidarité attachait alors les uns aux autres tous les membres d’une même famille, d’une même cité. On croyait que les fils étaient punis ou récompensés jusqu’à la troisième génération pour les fautes ou les vertus des pères, les peuples pour les rois, les rois pour les peuples ; qu’un crime individuel attirait la famine ou la peste, et que la piété les éloignait ; croyance précieuse, à défaut d’un mobile plus énergique, et frein puissant pour la famille et la cité. L’histoire des Alcméonides en montrera l’importance politique.

« Quand les hommes, dit Homère, au mépris des lois de Jupiter, violent la justice dans les places publiques et la font esclave de leurs passions, le dieu irrité déchaîne les tempêtes sous lesquelles