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l’héllénisme s’avançait fut élargie par trois puissances nouvelles : les philosophes qui agitaient déjà de bien téméraires questions ; les poètes dramatiques, dont la main hardie remua profondément le vieux monde des légendes héroïques ; enfin, de pieuses confréries qui prétendirent donner satisfaction à des curiosités plus exigeantes que celles des temps passés. Ces associations s’aventuraient, par-delà le culte officiel, en des régions ténébreuses, où l’homme cherchait ce qui pouvait calmer ses inquiétudes. Dans presque toutes les religions, en dehors du culte domestique réglé par le père de famille et du culte public soumis à des rites traditionnels, il se pratique des dévotions particulières, qui, croit-on, conduisent à une vie plus sainte et souvent mènent à de dangereux désordres. Dans la seconde moitié du VIe siècle, on commence à parler des livres d’Orphée contenant les révélations nécessaires pour arriver à la vie bienheureuse. Aristote, qui ne croit pas à l’existence de ce personnage mythique, attribue les vers qu’on faisait courir sous son nom à deux contemporains des Pisistratides. Quelle qu’en fût l’origine, cette poésie, qui répondait à certaines aspirations, provoqua la formation de sociétés au sein desquelles les idées religieuses plus étudiées, plus raffinées, se dégagèrent peu à peu des conceptions grossières du culte populaire.

Secte moitié philosophique, moitié religieuse, l’orphisme, qui trouva dans Athènes un lieu d’élection, développa l’idée de l’harmonie du monde, garantie par l’observance des lois morales et, pour la rémission des fautes, par les actes expiatoires qui assuraient la jouissance, après la mort, des plaisirs élyséens.

Dionysos Zagreos, le dragon né dans la Crète ou la Thrace sauvage de Zeus et de Perséphoné, la Junon infernale, et le Dionysos des monts éoliens, que parcouraient les bacchantes furieuses, furent réunis par les Orphiques en une seule divinité chtonienne qu’ils associèrent sous le nom d’Iacchos, à Déméter et à Cora. Le rapprochement était naturel. Cérès, qui avait semé le blé, Bacchus, qui avait planté la vigne, se complétaient mutuellement, comme étant la double expression d’une même force, l’énergie vitale de la nature. Mais le grain qui, enfoui dans le sol, se développe et, après la moisson, recommence une vie nouvelle, le rameau qui, verdoyant au printemps, se charge de fruits à la maturité, puis se dessèche pour revivre au renouveau, étaient aussi le symbole de l’existence humaine et des espérances d’outre-tombe, en même temps que l’image de la passion des deux divinités qui, tour à tour, mouraient et ressuscitaient. Aux premières fleurs qui s’épanouissaient, on chantait la naissance de Dionysos ; l’hiver venu, lorsque la nature était en deuil et la terre inféconde, on pleurait sa mort. Dépouillé de son