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Ferté, Gesvres, Gassion, que le duc d’Anguien fit ses premières armes, et en quelque sorte sur le terrain même que devait deux ans plus tard illustrer sa première victoire. M. le duc d’Aumale nous a donné les lettres du jeune prince à son père, pendant cette première campagne : elles respirent toute l’ardeur militaire de sa race, mais tempérée par un sang-froid qui fit l’étonnement de l’armée. Rien de « romanesque, » ou « d’héroïque, » et encore moins de « fou ; » rien qui rappelle ici l’emphatique bravoure de Rodrigue ;


Paraissez, Navarrais, Maures et Castillans,
Et tout ce que l’Espagne a nourri de vaillans ;


mais un observateur attentif, qui achève de s’instruire, qui ne laisse rien échapper, et qui garde pour lui le secret de ses observations. Richelieu même en fut frappé : « le prie Mme d’Aiguillon, écrivait-il à sa nièce confidente, le 28 mai 1640, de dire à Mme la Princesse que M. d’Anguien se conduit dans l’armée avec tout le témoignage d’esprit, de jugement et de courage qu’elle sçauroit désirer. » Ce n’est pas sous cet aspect que nous avons accoutumé de voir le grand Condé ; et, en effet, au fond, sous cette apparente froideur se dissimule une violence passionnée dont il donnera plus tard plus d’une preuve, au grand dommage de sa gloire ; mais on dirait qu’au lieu de l’exciter, le voisinage du danger le calme, apaise en quelque sorte les bouillonnemens de sa fougue, et lui donne enfin cette lucidité de coup d’œil qu’au contraire il enlève à tant d’autres. Ce jeune homme de vingt ans est mûr pour le commandement, et, « de la cour » ou d’ailleurs, — car la cour, pour le moment, est sans doute ce qu’il connaît le moins, — on peut l’envoyer « en poste, » ou autrement, à la frontière : ce n’est plus un prince du sang, mais un général d’armée qui y arrivera.

Nous ne commettrons pas l’imprudence de refaire, après M. le duc d’Aumale, un nouveau récit de cette grande journée de Rocroy, n’ayant pour l’oser aucune compétence, et rien n’étant d’ailleurs plus facile à nos lecteurs que de se reporter eux-mêmes a ces belles pages[1]. Mais nous ferons observer, à ce propos, que ce n’est pas tout, comme on le croit, ou comme on a l’air de le croire, que de gagner une bataille, deux batailles, trois batailles ; et encore est-il question de savoir comment le vainqueur les a gagnées. Les victoires, en effet, ne suffisent pas, quoi que l’on en dise, pour faire un capitaine, et, réciproquement, on connaît d’habiles généraux à qui la fortune a toujours disputé la gloire d’en emporter une seule. C’est donc à bon droit que M. le duc d’Aumale, dans son récit

  1. Voyez la Revue du 15 avril 1883.