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riches en empreintes de poissons, d’insectes et de plantes, et ces schistes, au lieu d’être surmontés immédiatement par les assises marines, vont s’enfoncer sous le système, qui comprend les lignites exploités entre Manosque et Dauphin, ainsi que les lits avec plantes aquitaniennes dont nous avons parlé, supérieurs eux-mêmes à ces lignites. Il est donc visible que la mer, déjà présente à Bonnieux, avait pris possession de la partie occidentale de l’ancien lac, alors que la partie orientale, encore soustraite à l’invasion, était le théâtre des phénomènes de sédimentation végétale auxquels les combustibles charbonneux doivent leur existence. C’est postérieurement, et après le dépôt d’une dernière zone riche en limnées et par conséquent encore lacustre, que la mer de molasse vint finalement envahir le milieu de la cuvette, dont les sédimens affaissés constituèrent une sorte de chenal profond, situé entre Dauphin et Forcalquier, et s’étendant jusqu’à Peyruis dans une direction nord-est. Au-delà, cette mer submergea la vallée moyenne de la Durance et forma un bassin intérieur dont Moustiers et Digne marquent les limites orientales, Riez le bord méridional, Manosque et Peyruis la terminaison du côté de l’ouest, tandis qu’au nord ce bassin dépassait à peine la latitude de Sisteron, pénétrant un peu au-delà et à l’est de cette ville. Entre ces points, le bassin, que nous nommerions « mer de Digne, » s’il existait maintenant, offrait, de Manosque à Moustiers, une largeur est-ouest de 40 kilomètres environ, sur une longueur maximum sud-nord d’une soixantaine au plus. De Forcalquier, situé un peu en dedans de l’entrée du chenal, c’est encore une distance de 40 kilomètres que l’on aurait parcourue avant d’atteindre à la rive opposée. Entre Peyruis, à l’ouest, et Digne, à l’est, cette petite mer allait en se rétrécissant, laissant à gauche Sisteron, qu’elle ne touchait pas, et prolongeant vers l’est et au nord de Digne une baie étroite sur un espace d’une douzaine de kilomètres. A quoi pourrions-nous assimiler cet océan en miniature qu’évêque la pensée du géologue lorsqu’un train rapide l’entraine sur la ligne des Alpes et lui en fait franchir l’emplacement en une couple d’heures ? Pour en avoir une exacte reproduction, il faudrait doubler au moins l’étang de Berre, en Provence, ou diminuer de moitié le Wetter, qui n’est cependant pas le plus grand des lacs Scandinaves. Le Léman lui-même excède les dimensions de la cuvette marine dont nous venons d’esquisser les contours. Il est vrai que, non-seulement elle communiquait avec l’océan d’alors, mais qu’au sud de Riez et à l’est de Corbières, vers Salerne dans une direction, jusqu’à Rians dans l’autre, elle allongeait encore des bras étroits et sinueux dont il est difficile au géologue de reconstituer les méandres au sein des vallées et sur les plateaux tourmentés qui gardent les vestiges de son séjour.