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cul-de-sac, ait nourri et favorisé un tel ensemble de mollusques, de squales, d’animaux de toute taille, sédentaires ou actifs, voraces et puissans, ou faibles et privés de défense. On voit que la vie surabondait au sein de ces eaux miocènes.

Aujourd’hui encore, on peut suivre les sinuosités de l’ancien littoral et reconnaître ses détours aux encroûtemens de la plage. Tantôt escarpée, tantôt basse et sablonneuse, elle étale encore les galets polis par la vague, les écueils attaqués par les coquilles perforantes, les sables môles de dents de requins. La légende elle-même s’en est mêlée ; elle a voulu reconnaître dans une brèche osseuse les traces d’un dragon dont la ville des Sextiens aurait été jadis miraculeusement délivrée. Une procession annuelle célébrait le souvenir de cet événement fabuleux. Il fallut, au siècle dernier, la sagacité de Lamanon pour déterminer la nature des ossemens et signaler en eux des restes de poissons. Cet exemple est, du reste, demeuré célèbre, puisqu’il marque l’intervention de la science positive réussissant, pour la première fois, à dissiper une erreur accréditée sans motif, pour lui substituer la vérité.

L’événement qui marque le déclin et amène la terminaison de la période molassique, l’un des plus considérables dont l’Europe, qui lui doit son relief principal, ait été jamais affectée, c’est le soulèvement des Alpes, événement accompagné, comme tous ceux du même ordre de mouvemens précurseurs et d’oscillations inaugurales dont la Provence ressentit l’inévitable contre-coup. Au sud du Léberon, aussi bien qu’aux environs d’Aix et au nord de cette ville, partout enfin où la mer molassique avait pénétré, elle tendit à se retirer, à faire place, selon l’expression de M. Collot, a à des étangs dont les eaux se dessalèrent lentement et où se multiplièrent des coquilles lacustres lorsque les eaux furent devenues pures[1]. » Alors seulement, les fractures et les accidens, auxquels tient la configuration actuelle des vallées, commencèrent à se prononcer, mais d’abord faiblement ébauchés et débutant par un exhaussement général suffisant pour exclure graduellement la mer ; à la suite de ce retrait, les eaux douces prenaient possession des parties déprimées mises à leur portée, tandis que les eaux courantes, sillonnant le sol, se précipitaient sur les déclivités nouvellement établies. Presque partout, en effet, les sédimens soit lacustres, soit d’origine ambiguë et de nature variée, calcaires, marneux, argiles, sables ou grès ferrugineux qui succèdent à la molasse, reposent sur elle en stratification concordante, bien qu’ils se trouvent limités à un moindre périmètre et distribués en bassins locaux, disjoints et d’une faible étendue. Les traces d’animaux terrestres, particulièrement de grands mammifères,

  1. Louis Collot, Description géologique des environs d’Aix en Provence, p. 183.