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Angleterre ne la conteste, à l’église et aux associations religieuses : serait-on aussi unanime en France ? Nos radicaux sont-ils prêts à reconnaître la personnalité civile aux diocèses, aux paroisses, aux consistoires ? Nos législateurs auraient-ils dépouillé leur traditionnelle antipathie pour la mainmorte, et la troisième république va-t-elle rendre à l’église et au clergé le droit de reconstituer les biens que leur a enlevés la révolution ? C’est ainsi que se pose la question, et l’équité, d’accord avec la liberté, n’admet qu’une manière de la résoudre. Lorsque la révolution a sécularisé les biens ecclésiastiques, la révolution a garanti au clergé un traitement ; le jour où l’on supprime ce traitement, on doit rendre aux églises le droit d’acquérir et de posséder[1].

Voilà comment la séparation a été comprise, voilà comment elle a été effectuée dans tous les pays où l’église et l’état sont séparés, dans ceux que l’ignorance de nos démocrates nous donne comme modèles, les États-Unis notamment. Dans la grande république américaine, de même qu’en Angleterre, les églises ont le droit d’acquérir, et de fait, les différentes confessions, l’église catholique en particulier, y possèdent des biens considérables. S’il y a, non sans raison, une limite à leurs acquisitions d’immeubles, il n’y en a point à leur fortune mobilière, la richesse mobilière étant de sa nature indéfinie. Et, non-seulement les églises ont la faculté de posséder ; mais d’ordinaire les temples et les édifices voués au culte, ou aux soins des pauvres, jouissent de certaines immunités, de l’exemption d’impôts spécialement, ce qui, dans l’hypothèse de la séparation, serait encore un point à considérer. Est-ce là, encore une fois, le régime que veulent introduire chez nous les hommes qui se sont plu à inventer des taxes pour les hôpitaux des Petites-Sœurs des pauvres ?

Avec la faculté d’acquérir, de recevoir des donations et des legs sous le régime des trustees, les différentes églises, en Amérique, tout comme en Angleterre, sont en possession de toutes les libertés : liberté d’enseignement, liberté de la presse, liberté de la parole dans la chaire comme sur, la place publique, droit de réunion, droit d’association pour les ecclésiastiques comme pour les fidèles, pour les moines comme pour le clergé séculier. Dans ce système on ne connaît ni articles organiques, ni décrets de mars, ni restrictions aux réunions des évêques ou à leurs rapports avec le pape. On ne connaît qu’une chose, la liberté en tout et pour tout. Tels sont les modèles, et, puisqu’on prétend les imiter, qu’on les imite assez pour

  1. Cela est d’autant plus manifeste que le concordat, article 15, garantit déjà aux catholiques la faculté « de faire en faveur des églises des fondations. »