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des contribuables qu’il y croit disposés. Cette idée s’inspire d’un livre fort ingénieux du reste, qu’on eût pu intituler : De l’art de dissoudre une nation et de décomposer les états[1]. L’auteur y vante une méthode de législation empruntée aux procédés des physiologistes, qui, pour mieux étudier les fonctions des êtres vivans, en séparent artificiellement les organes. Il propose de traiter la France comme un lapin ou une grenouille de laboratoire. Alors même qu’ils n’auraient nulle répugnance pour cette sorte de vivisection nationale, un peuple, un état, sont des êtres vivans qui ne sauraient impunément se prêter aux expériences des physiologistes politiques. Si M. Yves Guyot préconise cette méthode pour la séparation de l’église et de l’état, c’est manifestement qu’à ses yeux le succès de l’expérience est certain ; les sujets qui auront le bon esprit de s’y soumettre ne sauraient que s’en bien trouver.

Tel n’est pas notre sentiment. Remettre la solution d’un pareil problème au caprice des municipalités ou des communes, ce serait introduire la guerre dans chaque conseil municipal et dans chaque famille. On propose d’allouer aux communes, pour le dégrèvement de leurs centimes additionnels, les fonds jusqu’ici affectés au budget des cultes. Bien mieux, d’après le projet de M. Guyot, la question serait posée par le percepteur à chaque contribuable, de façon que chacun se sentît personnellement intéressé à refuser le traitement de son curé. N’est-ce pas là un procédé qui ferait honneur à un pays et à un parti ? Donner une prime au paysan qui renoncerait à contribuer à l’entretien du culte ; mettre « l’émancipation de la pensée et de la conscience » sous le patronage de la cupidité, voilà vraiment une méthode pratique bien digne de la façon dont certains radicaux comprennent la démocratie. Que diraient-ils si les contribuables prétendaient appliquer cet ingénieux système à l’enseignement, à la justice, à la police, à l’armée, voire à l’éclairage ou au balayage des villes ?

C’est là, pourtant, ce qu’au fond proposent la plupart des tenans de la séparation. Ayant presque tous en vue la suppression du budget des cultes, leur tactique commune est de représenter aux électeurs ce que chacun d’eux gagnerait à cette répudiation d’une dette nationale. Ils sont si flattés d’enlever au clergé son traitement, que, partisans décidés ou partisans éventuels de la séparation, intransigeans ou radicaux de gouvernement, ne voient plus guère dans ce grave problème que la grossière question d’argent. Leur matérialisme politique ne comprend pas qu’en matière de conscience les considérations pécuniaires sont fort secondaires. Ils ne sentent

  1. La Politique expérimentale, par M. L. Donnat.