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avons obtenu qu’on la diminuât de moitié. Au lieu de huit centilitres, on ne leur en délivre plus que quatre ; mais c’est encore trop, et nous ne devrions pas faire de nos navires des écoles d’alcoolisme.

Dans les campagnes, les enfans commencent à boire dès l’âge de onze à douze ans, et j’ai souvent été stupéfait en voyant l’aisance avec laquelle de petits Bretons de cet âge ingurgitent un verre d’eau-de-vie d’un seul trait et sans sourciller.


III

La question de l’alcoolisme et des remèdes à lui opposer est une de celles qui ont été le plus souvent agitées, tant dans les congrès d’hygiène que dans les réunions d’économistes, mais, en général, on s’en est tenu à des vœux platoniques ou à des demi-mesures. Ce qui fait toujours défaut dans les discussions de ce genre, c’est la notion bien nette de la subordination réciproque des intérêts et de la nécessité de laisser de côté les considérations de second ordre, quand il s’agit de conjurer un péril social. Lorsque ceux qui tiennent en main les destinées d’un grand pays ne se sentent pas le courage ou la force nécessaire pour froisser certaines sympathies, pour affronter des résistances et des rancunes faciles à prévoir, eh bien ! alors il faut qu’ils reconnaissent leur impuissance et cèdent la place à des gens plus résolus.

Aucune nation n’est encore parvenue à résoudre le problème. Chacune d’elles en a demandé la solution aux moyens qui étaient le plus en rapport avec son caractère et son tempérament. L’Angleterre et l’Amérique, pays de liberté et d’initiative privée, ont en recours à la persuasion. Elles ont fondé des sociétés de tempérance, publié de petits livres et fait de la propagande par tous les moyens. Les pays autoritaires du Nord de l’Europe se sont armés de lois répressives. Aucun de ces moyens n’a complètement réussi, mais tous ont en quelque effet. Il faut convenir toutefois que les mesures coercitives donnent des résultats plus surs et surtout plus prompts que les autres.

Les prédications et les conférences, les sociétés de tempérance elles-mêmes n’ont pas produit tout le bien qu’on pouvait en attendre. On sait que l’initiative en est venue de l’Amérique. La première société a été fondée à Boston en 1813 ; mais cette innovation ne fut pas prise au sérieux et succomba sous les railleries des buveurs. Reprise en 1820 sur des bases plus radicales et dans la même ville, l’idée fut accueillie avec moins de défaveur. Elle fit son chemin avec l’appui des ministres protestans, qui se livrèrent à la propagande la plus active. Toutes les villes de l’Amérique du nord eurent