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a 4 millions de kilomètres ; la savane mexicaine, reliée à la prairie des États-Unis, est plus grande que l’Europe ; la puszta ne contient que 33,000 kilomètres. Les limites d’aucune de ces plaines ne peuvent être perçues, c’est assez pour qu’elles se ressemblent toutes entre elles, toutes sont des terres basses, anciennes mère, intérieures ou relais de Fa mer comblés par des masses d’alluvions d’une épaisseur prodigieuse, énormes cubes de débris que les eaux ont arrachés aux montagnes environnantes pour les rouler en miettes jusque-là. La surface herbeuse s’y prolonge à perte de vue, les routes n’y existent pas ; seules, des ornières de chars, serpentant, indiquent la direction au voyageur, et le gazon usé par les animaux le lieu coutumier de leur passage. Peu de ruisseaux l’arrosent ; quelques dépressions du sol y retiennent l’eau des pluies et forment des mares qui servent d’abreuvoirs pour le bétail, de lieu de réunion pour les fauves et les oiseaux sauvages. Nulle part trace d’habitation : chaumière, rancho ou ranch disparaissent au milieu des herbages ; pour le bétail, ni hangars ni bergeries, à peine quelques parcs à air libre. Ainsi se présentent les pays prédestinés à l’élevage : tous sont à ce point semblables entre eux que nous dirions volontiers à celui qui veut connaître les mœurs des bergers des plaines d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique : Ne passez pas la mer, traversez le Rhône à Arles et entrez en Camargue ; là, sur le sol français, vous trouverez un pasteur aussi primitif que celui de toutes les grandes plaines du monde sous les latitudes chaudes, vivant de la même vie que ses congénères exotiques. Les mots mêmes dont il se sert pour désigner ses troupeaux et ses travaux, on les retrouvera dans les pays d’élevage saxons ou américains. En Camargue, cette île aux aspects et aux usages pampéens, les chevaux et les bœufs vivent dans une demi-liberté, sans connaître l’étable ; les troupes qu’ils forment prennent le nom de manades, mot employé aussi dans les pays d’élevage hispano-américains ; la propriété du bétail s’y constate par la marque à feu, la ferrade, comme en Hongrie, en Russie, en Amérique et dans la campagne de Rome, avec le même cortège de fêtes, de réunions joyeuses où chacun fait valoir sa force et son agilité.

Si l’on cherche : l’origine commune de ces mœurs, peut-être la trouvera-t-on dans les plaines de la Numidie. Une tradition historique veut que la Camargue ait été peuplée dans l’antiquité par des Numides amenés par les Romains ; c’est de cette même Numidie, devenue pays arabe, que sont partis les conquérans de l’Espagne au moyen âge ; leur possession de sept siècles a suffi à infuser dans le sang espagnol les mœurs des cavaliers numides et des pasteurs arabes. : le chaouch, conducteur de troupeaux, en passant les mers avec les conquistadores, est devenu gaucho dans les pampas : entre