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comme en France et en Angleterre, à diminuer le nombre de leurs moutons et à augmenter leur poids en viande. Cette transformation est aujourd’hui à peu près complètement opérée ; elle aura eu pour résultat de diminuer d’un tiers le nombre des moutons élevés en Prusse, en Saxe, en Silésie, où les grands éleveurs sont encore nombreux, et, où, plus qu’en aucun lieu du monde, l’élevage se fait d’une manière scientifique. Mais le fait même de cette transformation dénonce en Allemagne, comme d’ailleurs en France et en Angleterre, où elle est en voie de s’opérer, des besoins locaux difficiles à satisfaire ; l’importation d’Allemagne n’est donc pas à prévoir, étant données ces conditions de son élevage, celles de son climat, qui oblige le bétail à la stabulation hivernale, et le voisinage de la partie la plus peuplée et la plus froide de la Russie, qui offre son marché à l’éleveur allemand.

Quelquefois, cependant, nos frontières sont traversées par des bandes de bœufs venant d’Allemagne ; mais ce sont des bandes de faméliques, — d’Allemagne peut-il nous venir autre chose ? — Maigres, épuisés de privations, ces animaux viennent utiliser les produits concentrés de nos usines du Nord, les résidus des fabriques de sucre, les tourteaux d’oeillette et de colza ; ils rendent ainsi un grand service à notre agriculture et à notre industrie avant d’en rendre à notre alimentation : mais leur nombre est peu élevé, il ne dépasse pas 150,000 sur 215,000 bêtes à cornes que la France reçoit annuellement de l’étranger.

Nos frontières du Sud sont aussi traversées par des troupeaux venant d’Espagne, d’Italie et surtout d’Algérie.

L’Espagne, ce pays d’origine du mérinos, a perdu comme contrée d’élevage toute son importance. Pendant que se produit ce fait récent de l’extension de la race mérinos dans le monde entier, l’Espagne qui a fourni les pères des 25 millions de mérinos qui peuplent la France, des 100 millions de la République argentine, des 35 millions des États-Unis, des 40 millions de l’Australie, des 10 millions du cap de Bonne-Espérance, des 40 millions de la Russie, des 25 millions de l’Allemagne, voit disparaître de son territoire à la fois le nombre et la qualité ; personne ne songe plus à lui demander des béliers de race, que seuls fournissent la France et l’Allemagne. L’élevage est devenu en Espagne l’occupation des pauvres, à moins que ce soit lui qui ait appauvri ceux qui s’y sont consacrés sans s’occuper de le faire progresser. L’Andalousie, la Manche, l’Estramadure possèdent encore des troupeaux, mais ne peuvent les nourrir toute l’année. En avril, les moutons abandonnent ces pâturages déjà desséchés pour se rendre au nord dans la montagne ; des troupeaux de 10,000 têtes, divisés par groupes de 1,000 confiés à chaque berger, se rendent aux montagnes de Ségovie, d’Avila aux