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n’y a pas ici d’illusion, l’homme des dépôts tertiaires. Cela forme dans la science un enchaînement admirable. Si l’un des anneaux manquait, la déduction scientifique serait interrompue. Les couches profondes explorées par les archéologues appartiennent, en effet, à l’âge du bronze et se relient à l’âge de la pierre polie et par lui aux premiers tâtonnemens de l’humanité.

Il faut donc détruire. C’est une question de mesure. Il faut conserver en collection systématique tous les objets mobiliers ou transportables. Mais ni les particuliers ni les états ne doivent oublier que ces objets eux-mêmes sont moins en sûreté chez nous que sous terre et que nos collections sont exposées, sinon condamnées d’avance à la destruction. Rappelons-nous Alexandrie : César brûlant le Musée, Omar la bibliothèque. En 1871, les Tuileries brûlaient et le Louvre allait prendre feu ; si la flamme avait poussé vers lui, les collections disparaissaient pour jamais. Les incendiants ne reprendront-ils pas un jour leur sinistre besogne ? Qui garantira contre leur criminelle folie tant de trésors accumulés ? Qui sauvera Berlin et son musée Schliemann dans la grande et peut-être prochaine lutte où tous les ressorts de l’Europe, trop fortement tendus par l’Allemagne, se débanderont ? Et, si un jour, la Grèce commençait seule contre la Turquie une lutte inégale, que deviendraient l’or et le bronze de Mycènes et cette masse énorme d’antiquités que la nouvelle Athènes contient ? Les Perses civilisés ont brûlé la ville, en ont détruit les édifices sacrés ; que sera-ce des Osmanlis et des bachi-bouzouks ?

Enfin, ni les villes, ni les états ne sont éternels ; un jour à venir, il ne restera plus rien de l’antiquité. Notre science même en aura préparé la destruction. Nous n’avons qu’un seul moyen d’en sauver au moins le souvenir ; c’est de la publier par la photographie et par tous les procédés que la presse met entre nos mains. Ce n’est point par des publications de grand luxe qu’il faudrait la reproduire, mais par des moyens moins coûteux et plus populaires, qui répandraient des images exactes dans le monde entier. Cela est nécessaire aujourd’hui à cause de la diffusion de la science et du nombre croissant des personnes qui s’intéressent à ses résultats. Je ne fais que poser ici la question, sans essayer de la résoudre.

Mais j’appelle l’attention du lecteur sur une autre face des études archéologiques ; je veux dire sur l’interprétation des monumens. Aujourd’hui, chacun donne la sienne ; quand on a soulevé un coin du voile, on s’imagine apercevoir tout ce qu’il cache. Des livres, d’apparence savante, sont pleins d’hypothèses et d’erreurs nées de la précipitation ; ces erreurs se répandent, car il est plus difficile de les dissiper que de les produire. L’interprétation des choses antiques exige avant tout une grande mémoire et une faculté supérieure