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l’autre monde n’a répondu. Aussi n’ose-t-il demander pour sa Dormeuse qu’une seule faveur, l’oubli, la certitude que son sommeil soit aussi profond qu’il est durable. Il salue du nom de conquérant le ver du tombeau, celui qui, à la fin, aura raison de ces misérables mimes façonnés par ironie à l’image du Dieu tout-puissant :


La pièce est une tragédie intitulée l’Homme,
Et son héros, ce conquérant, le Ver.


Pour Annie, cependant, la mort prend un aspect moins sinistre, elle devient une extase ; l’âme languit en arrière, calme, reposée, ayant vaincu cette fièvre qu’on appelle la vie, capable encore de sentir l’amour humain et son dernier baiser. For Annie est le plus tendre de tous les poèmes de Poë. Pendant le peu de temps qu’il survécut à sa femme, la vision lui vint du repos et non plus de l’horrible dans la mort. Il chanta deux Requiem sur sa compagne disparue : Ulalume, un étrange chef-d’œuvre, vague et profond à la fois, qui a tout l’entraînant prestige de l’improvisation ; Annaael Lee, une mélodie funèbre, déchirante dans sa simplicité. Le mouvement est pressé jusqu’à la fin, où l’intention se répète, s’affermit et grandit, nous laissant sous une impression d’autant plus forte qu’ensuite un silence se fait, qui est tout de bon un silence de mort. Après Annabel Lee, la lyre se brisa, Edgar Poë n’écrivit plus de vers.

Les prédilections de M. Stedman sont pour les deux pièces intitulées : le Palais Hanté et Israfel. Il faut lire la première, plus d’une fois, avant de s’arrêter à considérer l’allégorie qu’elle renferme, tant la musique des mots, la fantastique beauté des images s’empare de notre attention d’une manière fascinatrice. Israfel n’est, pour ainsi dire, que mélodie et lumière. Une fois, Poë s’est élevé au-dessus des sépulcres et des brumes funèbres, il a visité l’empyrée ; il y a de la joie, du ravissement dans ce chant délicieux.

De la lecture des poésies de Poë, en y comprenant celles qui s’entremêlent à la prose de ses contes, — car ce mélange est peut-être le produit le plus achevé de son génie, — le critique conclut à admirer, sans la surfaire, une faculté vraiment exquise, mais exercée dans des bornes restreintes. La poésie, selon ce frère moralement dégénéré de Keats, doit se vouer sans partage à la création rythmique de la beauté ; son but est le plaisir, non pas la vérité, — un plaisir subtil, indéfini, tel que celui que procure la musique. La métaphysique en vers lui faisait horreur ; il considérait la théorie lakiste comme une forme nouvelle de cette hérésie, le didactisme, qui a nui même au mélodieux Coleridge. Dans une Lecture sur le principe poétique,