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règne sont lentes à se faire sentir. L’empereur assistait, après de fugitives années de prépondérance, à l’effondrement de toutes ses œuvres, avec une santé perdue, sans énergie pour lutter contre les retours de la fortune. « De tous les regrets, disait Dante, celui des grandeurs perdues est le plus amer. »

Une sorte de fatalité semblait pousser Napoléon III aux expéditions. Nos armées, souvent sans d’impérieuses nécessités, étaient apparues à Home, en Grimée, en Chine, en Syrie, au Mexique ; elles allaient être forcées de reparaître dans les états pontificaux. La résolution était grave ; elle soulevait en France de violentes polémiques ; les catholiques la réclamaient impérieusement, les libéraux la combattaient à outrance. Il fallait prendre un parti, on n’avait que trop hésité. Si, au lieu de temporiser, l’empereur avait dit énergiquement et opportunément, au moment où Garibaldi ouvrait sa campagne, qu’il ne permettrait pas à une révolution sans mandat de détruire la convention de septembre, le cabinet de Florence n’eût vraisemblablement pas méconnu l’intérêt supérieur qui lui commandait de faire tous les sacrifices pour prévenir le retour de l’armée française. Mais, au lieu de s’expliquer catégoriquement, il avait autorisé toutes les conjectures en paraissant vouloir tenir la balance égale entre les aspirations italiennes et les résistances pontificales. Il avait retenu à Paris, en congé, son ambassadeur à Rome et son ministre à Florence, et laissé à de simples chargés d’affaires le soin de protéger le Pape et d’empêcher le gouvernement italien de manquer à ses engagemens.

La fièvre de Rome avait gagné toute l’Italie ; des comités de secours se formaient dans toutes les villes, les enrôlemens des volontaires se faisaient publiquement, on leur délivrait des billets gratuits sur les chemins de fer aboutissant aux frontières romaines, ils partaient aux applaudissemens frénétiques de la foule. Menotti Garibaldi, revenu de Londres, recevait à Florence les députés de la gauche et les chefs du parti d’action, il leur communiquait les instructions de son père, il organisait des bandes et les dirigeait sur les états romains. On apprenait aussi qu’on avait traité avec la compagnie orientale et que ses steamers devaient s’arrêter sur les côtes de la Sardaigne pour assurer l’évasion du prisonnier de Caprera. M. de La Villetreux ne laissait ignorer au gouvernement italien aucun des renseignemens que lui envoyaient notre chargé d’affaires à Rome et nos consuls dans la péninsule. M. Rattazzi reconnaissait la gravité de la situation ; il prétendait que les efforts des préfets pour contenir le mouvement étaient immenses, que ses ordres étaient formels et sans réticences, et notre chargé d’affaires se retirait emportant une fois de plus des assurances sans cesse renouvelées, mais jamais suivies d’effet.