a été à bon droit relevée, même par des Allemands. Sans parler de sa morale, qui n’a pas mérité tous les anathèmes dont on l’a chargée, il faut reconnaître que nul philosophe dans l’antiquité ne proclama aussi nettement qu’Épicure l’indépendance souveraine du libre arbitre. S’il se fit des dieux une conception assez grossière, il ne fut pas un athée ; bien plus, il veut qu’on aime et qu’on honore les dieux pour leur seule perfection et quoiqu’on ne leur soit redevable d’aucun bienfait ; il est l’ancêtre, assez inattendu, de la doctrine du pur amour.
La partie de l’ouvrage de M. Zeller qui traite de l’école d’Alexandrie passe généralement pour la moins remarquable. Pour cette période encore la critique française, avec MM. Jules Simon, Vacherot, Ravaisson, — et nous ajouterons l’auteur d’un savant travail sur Origène, M. Jacques Denis, — nous paraît l’emporter sur la critique allemande. Cette curieuse et grande époque néoplatonicienne mériterait d’être étudiée à la lumière des plus récentes découvertes de l’érudition sur les religions orientales. L’influence du génie de l’Orient sur l’esprit grec, trop contestée peut-être par M. Zeller, est surtout manifeste à partir du IIIe siècle après Jésus-Christ ; quel beau sujet pour tenter un orientaliste philosophe !
Ce qu’on louera sans réserve dans l’œuvre de M. Zeller, c’est l’étendue et la sûreté des informations, le discernement lumineux dans les problèmes si délicats d’authenticité et de chronologie. La science condensée dans les notes est du meilleur aloi. Mais, même en ces matières d’érudition, nous aurions mauvaise grâce à nous montrer trop modestes. Depuis l’impulsion féconde imprimée par Victor Cousin, que de savantes monographies, quelques-unes définitives, sur les points les plus obscurs, les doctrines les plus contestées de la philosophie grecque ! Pourquoi, par exemple, M. Zeller mentionne-t-il à peine, ou même passe-t-il entièrement sous silence des thèses aussi remarquables que l’Anaxagore de M. Ch. Zévort, l’Antisthène de M. Chappuis, le Démocrite de M. Liard ?
En rappelant que nous avons chez nous, dispersés dans maints travaux de premier ordre, les élémens d’une histoire de la philosophie grecque égale, sinon supérieure à celle de M. Zeller, nous n’avons nulle intention de diminuer la gloire de celui-ci. Il lui reste d’avoir entrepris et mené à bien une œuvre aux proportions grandioses, qui découragera pour longtemps les efforts de quiconque serait tenté de la recommencer. C’est, pour tout dire, un monument digne de ce merveilleux développement de la pensée spéculatrice qui va de Thalès à Proclus, et qui est l’honneur de l’esprit humain.
L. CARRAU.