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Le comte d’Artois insista, discuta sur les termes et se démena si fort que l’empereur, pour couper court au débat sur ses prétendues promesses, finit par déclarer qu’il les retirait. À ces mots, le prince s’emporta dans une violente colère, et le bruit se répandit dans Vienne que, pour faire revenir l’empereur sur ses déclarations, il était allé jusqu’à lui offrir la Lorraine. Léopold resta inflexible ; tout ce qu’obtint le comte d’Artois fut l’autorisation de venir à Pillnitz ; mais on eût soin de le prévenir que sa visite y serait parfaitement inutile et ne changerait rien aux intentions de l’empereur. Le langage des ministres était des plus décourageans pour les émigrés. On ne leur laissa pas ignorer que l’on regardait, à Vienne, « l’affaiblissement de la France comme un grand avantage pour la maison d’Autriche, et que ce serait contraire à la politique de cette maison de contribuer à lui rendre sa splendeur, à moins d’en retirer de grands dédommagemens. » Kaunitz considérait les affaires de France comme « désespérées et perdues sans retour. » Il détournait son maître de s’en mêler. « D’ailleurs, répétait-il, si Louis XVI s’entend avec l’assemblée nationale, la guerre devient inutile. » Loin de s’y préparer, l’empereur songeait à réduire ses arméniens. C’est dans ces dispositions qu’il partit, le 22 août, pour la Saxe. Le comte d’Artois et sa suite, qui s’était grossie de quelques émigrés, se mit en route le même jour.


VI

Pillnitz est un château près de Dresde, résidence d’été des souverains saxons. L’empereur y arriva le 25 août avec le maréchal Lacy et le référendaire de chancellerie Spielmann, subalterne intrigant, commis à tout faire, qui était en train de percer et s’élevait par la faveur du maître à une sorte d’importance occulte. Il avait débuté dans l’emploi des confidens, il visait maintenant les seconds rôles ; par son caractère, ses origines et ses dispositions, c’était un partenaire parfaitement assorti à Bischoffswerder. Spielmann avait déjà négocié à Vienne avec le favori du roi de Prusse, il le retrouva dans le cortège de ce prince. Frédéric-Guillaume parut à Pillnitz peu d’instans après l’empereur ; il amenait dans sa suite un officier général, le prince de Hohenlohe, et un aide-de-camp de confiance, Manstein, rival secret et complaisant public de Bischoffswerder. Les princes héritiers d’Autriche et de Prusse accompagnaient leurs pères ; ce fut la première de ces innombrables entrevues qui réunirent François II et Frédéric-Guillaume III au cours des événemens extraordinaires qui se préparaient alors et qui leur réservaient à tous les deux de si orageuses destinées.