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L’électeur de Saxe reçut ses hôtes avec magnificence. du banquet somptueux, suivi d’un spectacle de gala, d’illuminations, d’une réception brillante remplirent la journée et une partie de la nuit. A travers ces fêtes, qui se poursuivirent le lendemain, les souverains ne purent causer qu’en termes généraux et par échappées. Toutefois l’impression de ces entretiens fut excellente de part et d’autre. « Le roi de Prusse, écrit Léopold à son chancelier, a été on ne peut plus franc, cordial et honnête avec moi. Il me paraît pleinement convaincu de l’utilité de l’alliance et la désirant sincèrement et de bonne foi. » Ils se bornèrent à échanger des témoignages de confiance : c’était, au fond, le véritable objet de leur entrevue. Il est même probable qu’aucune affaire sérieuse n’aurait été délibérée entre eux sans l’arrivée des Français[1]. Le comte d’Artois se présenta le 26 au château, entouré de toute la diplomatie et de tout le conseil de guerre de l’émigration : Condé, Calonne, Roll, Esterhazy, d’Escars, Polignac, Flachslanden, Châteauneuf, Bouillé enfin, qui apportait le plan de campagne. Nassau-Siegen, représentant officieux de Catherine auprès des princes, avait pris place dans le cortège. L’objet de cette bruyante visite était de compromettre les souverains allemands dans la cause des émigrés et de les engager à des démarches qu’ils seraient obligés de soutenir par la force : l’occupation de l’Alsace par exemple[2]. Le roi de Prusse y paraissait disposé : l’idée de faire entrer ses troupes dans le royaume flattait sa vanité, et il s’en pouvait suivre des combinaisons d’échange qui ne laisseraient pas, le cas échéant, de l’intéresser. Il écrivait de Pillnitz même à son agent à Vienne, Jacobi : « Ce que vous me faites observer au sujet de la Lorraine dont il aurait été question, à Vienne, entre le comte d’Artois et l’empereur, et qui pourrait servir d’indemnité pour les frais de la guerre, est de la plus haute importance et mérite d’être considéré avec la plus grande attention. » Ainsi raisonnait ce prince au moment où les émigrés, convaincus de sa générosité, se leurraient de son désintéressement.

Le comte d’Artois développa ses plans devant l’empereur et le roi de Prusse. Il « insista terriblement, » dit plus tard Léopold, pour obtenir leur adhésion aux dix points à fixer qu’il leur présenta par écrit. Le fond en était la reconnaissance de Monsieur en qualité de régent, les moyens de lever des troupes dans l’empire et de les organiser aux Pays-Bas, des arméniens pour soutenir les démarches

  1. Voir, pour ce qui suit, le Rapport de Spielmann à Kaunitz, et les Pièces de la négociation. Vivenot, I, p. 236 et suiv.
  2. Léopold à Kaunitz, 30 août 1701 ; Beer, Kaunitz, p. 424.