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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/349

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Léopold se tenait sur ses gardes. Après avoir échangé avec Frédéric-Guillaume de nouvelles assurances d’entente pour les affaires de l’Empire et pour celles de la Pologne, il partit bien décidé à s’en tenir à la lettre même de la déclaration. Il se rendit à Prague, où il devait être couronné roi de Bohême. Le prince royal de Prusse, le prince de Hohenlohe et Fersen le suivirent. Bouille et Polignac se joignirent à eux pour donner des avis, fournir des renseignemens et animer le zèle des alliés. Le prince royal n’était au courant de rien ; quant à Hohenlohe, Frédéric-Guillaume avait eu soin d’avertir l’empereur qu’il n’avait point de mission. Lorsque Bouillé essaya de parler de guerre avec Lacy, ce maréchal répondit qu’il n’avait point d’instruction pour en conférer, qu’une guerre de cette nature ne devait point être entreprise à la légère, que la France possédait d’immenses ressources et qu’il considérait les frontières comme impénétrables. Léopold n’eut d’ouverture qu’avec Fersen : il le jugeait plus raisonnable que les émigrés, plus discret surtout et plus sincèrement dévoué à : la famille royale. L’empereur paraissait ému à la peinture des dangers, des humiliations, des souffrances de sa sœur ; mais quand Fersen en voulait venir au chapitre des secours, il se dérobait. Il arguait que la saison qui était trop avancée, du concert qui était indispensable, de l’Angleterre dont on ne pouvait se passer et dont on ignorait les intentions, de l’espérance enfin qu’il y avait de voir le roi et l’assemblée s’accorder sur la constitution. L’idée que l’on se faisait de ce congrès hypothétique était toujours flottante et incertaine. Léopold insinuait par moment qu’il devait être armé ; Cobenzl et Spielmann soutenaient qu’il ne le devait point être. Ces deux conseillers de l’empereur s’accordaient pour se méfier des Prussiens, lesquels ne dissimulaient point leur manque de confiance dans leurs nouveaux alliés. « Ils veulent faire de cela une affaire d’intrigue, » écrivait Fersen après une conversation avec Hohenlohe. Ajoutez les rumeurs qui se répandaient sur les projets de la Russie et l’inquiétude que commençaient à causer ses mesures en Pologne. En un mot, rien ne semblait plus éloigné que la réalisation de ce fameux Alors et dans ce cas, qui renfermait tout le sens de la déclaration de Pillnitz. Le roi de Prusse en tomba d’accord ; il reconnut que l’on devait attendre la fin des débats sur la constitution, et il écrivit même, le 3 septembre, à son agent à Vienne de tourner les choses de façon que la déclaration du 27 août ne reçût point d’effet.

Ces atermoiemens n’étaient pas l’affaire des émigrés. Ils revinrent à la charge. Le prince de Polignac menait grand train à Prague pour le couronnement. « Il n’a rien, disait-on dans l’entourage de l’empereur, sinon sa vaisselle et son cuisinier. » Il faisait de l’une et de l’autre tout l’état qu’il pouvait. Il remit à Léopold un