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paternelle, ce caractère avide et bas, et qu’il s’est plu à le peindre par rancune personnelle. Un an, en effet, après la mort de Marie Cressé, le 30 mai 1633, Jean Poquelin s’était remarié avec une demoiselle Catherine Fleurette. On ne sait rien sur cette seconde femme, sinon qu’elle était fille d’honorable homme Eustache Fleurette, marchand de fer, à ce qu’il semble, et qu’elle eut deux filles, dont l’une se fit religieuse et l’autre survécut peu de jours à sa mère, morte en la mettant au monde, le 12 novembre 1636. Il faut, on l’avouera, quelque fécondité d’imagination pour tirer de ces simples faits tout ce qu’on allègue sur la seconde femme de Jean Poquelin : hypocrisie d’affection envers son mari, dureté de cœur et mauvais traitemens envers les enfans du premier lit. Entre Béline et Catherine Fleurette il n’y a qu’une ressemblance, c’est que l’une et l’autre ont épousé un veuf. Au demeurant, que de différences ! Celle-là, matrone experte et mûre, manœuvre pour évincer de la maison paternelle une grande jeune fille ; celle-ci entre toute jeune dans une maison où il y a quatre petits enfans, mis à l’abri, par leur jeunesse, de tout calcul cupide, et meurt après trois ans de mariage. Même contraste entre Jean Poquelin, qui survivra plus de trente ans à sa seconde femme, robuste et actif jusqu’au dernier jour, et le piteux malade dont la mort est escomptée.

On veut aussi que l’éducation de Molière ait été entravée, de parti-pris, par Catherine Fleurette, et que Jean Poquelin, moitié par bassesse d’âme, moitié par l’influence de sa femme, ne se soit décidé qu’après la mort de la marâtre, et sur les instances de son premier beau-père, à faire donner une éducation complète à son fils. Il n’y a pas ombre de preuves à l’appui de ces suppositions. Tout ce que l’on sait de cette période de la vie de Molière se trouve dans un court passage de Grimarest : « Les parens de Molière l’élevèrent pour être tapissier, et ils le firent recevoir en survivance de la charge du père dans un âge peu avancé. Ils n’épargnèrent aucun soin pour le mettre en état de la bien exercer, ces bonnes gens n’ayant pas de sentimens qui dussent les engager à destiner leur enfant à des occupations plus élevées. De sorte qu’il resta dans la boutique jusqu’à l’âge de quatorze ans, et ils se contentèrent de lui faire apprendre à lire et à écrire pour les besoins de sa profession. » Le premier de ces renseignemens, la survivance de la charge paternelle, se trouvant exact, il n’y a aucun motif pour rejeter le second ; et, en les tenant l’un et l’autre pour vrais, Jean Poquelin aurait rempli envers son fils aîné tous les devoirs d’un bon père de famille. Lorsqu’il obtint cette survivance, au mois de décembre 1637, le futur auteur du Misanthrope n’avait encore que quinze ans ; le génie se révèle-t-il souvent à cet