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sa vieillesse, à prendre une revanche et n’emploierait-il pas à quelque spéculation hasardeuse l’argent mis à sa disposition ? Directement obligé par son fils, il en eût sans doute pris à son aise ; tenu par le contrat signé avec Rohault, il emploierait utilement le montant du prêt. Quant à la prétendue garantie de Rohault, Molière, s’il s’en fût assuré, eût agi d’une manière par trop perfide envers un ami complaisant. Mais il est dit, dans les actes passés entre Rohault et lui, que Rohault opère « sans aucune garantie, restitution de deniers, ni recours quelconque, en quelque manière que ce puisse être. » Pour les autres garanties, Molière les négligea : les quittances des ouvriers restèrent entre les mains de Jean Poquelin, et il ne paraît pas que le père ait rien payé de la rente promise, quoique le premier terme fût échu lorsqu’il mourut, à l’âge de soixante-seize ans, le 25 février 1669.

Triste mort après une triste vieillesse. Survivant à ses deux femmes et à tous ses enfans, sauf un, ruiné après avoir été riche, Jean Poquelin rendait le dernier soupir dans sa maison à peine reconstruite au milieu du désordre qui s’introduit si vite partout où les femmes sont absentes. Ce n’était, en effet, chez lui qu’incurie et abandon, et quel contraste offre l’inventaire fait après sa mort avec celui qui avait suivi son premier veuvage ! Ce qui regarde l’homme et ce qui regarde le commerçant, — car il continua jusqu’au bout, sinon à vendre, du moins à brocanter, — porte la même marque de négligence. Plus de luxe dans les vêtemens, le linge et les ustensiles de ménage : quelques misérables nippes que les notaires ne se donnent pas la peine de décrire en détail et qu’ils déclarent « telles quelles, » c’est-à-dire en fort mauvais état, du linge grossier et dépareillé, de « méchans caleçons » confondus avec des torchons, et, parmi les rabais, « un petit manteau d’enfant, » touchante relique peut-être qui dénoterait, dans la sèche et rude nature du vieillard, un coin de sensibilité, le regret persistant chez l’aïeul d’un petit-fils perdu en bas âge. Comme bijoux, « une vieille montre en cuivre doré, » comme argenterie, « six fourchettes, six cuillères et une tasse. » Puis un fatras de marchandises d’occasion ou de rebut, des sièges plians et des fauteuils « tels quels, » de « méchantes formes, » une quantité de petits morceaux de tapisserie, de la vieille frange, de la ferraille, enfin vingt-cinq tableaux représentant des sujets de sainteté, sauf quatre qui figurent « une Vénus, des têtes de femme et une dame. » La valeur de tout cela n’atteint pas 2,000 livres, et, cependant, avec 870 livres en argent comptant, — le reste, sans doute, des 10,000 livres prêtées par Molière, — avec un fatras de créances, qui font un total d’environ 8,000 livres, mais dont la plupart sont bien anciennes pour être