au moment de l’inventaire, Molière déclara que cette somme de 3,477 livres avait été par lui remise à son père, Boudet et Marie Maillard refusèrent un moment de le croire, « n’y ayant aucune apparence, disaient-ils, qu’une somme baillée par un père à son fils, pour les causes, énoncées, se rende et rapporte par ledit fils à son père. » Mais bientôt, sur les explications données, le relevé des déboursés de Jean Poquelin « pour monsieur Molière » fut, du consentement mutuel des parties, lacéré comme nul.
Ce ne fut pas le seul bon office du fils enrichi envers son père devenu besogneux. La maison que Jean Poquelin avait achetée, en 1633, aux piliers des Halles, était fort vieille et délabrée. Avec la passion ordinaire des vieillards pour les bâtimens, son propriétaire songeait à la reconstruire ; mais, ruiné par ses affaires avec Boudet, il eût été hors d’état de faire la dépense, si un prêteur généreux ne fût venu à son secours. Ce prêteur ne fut autre que Molière, et il s’y prit, pour obliger son père, d’une manière détournée, à la fois très délicate et très habile, par l’entremise de son ami le physicien Rohault. Par actes des 31 août et 24 décembre 1668, Rohault prêtait 10,000 liv. à Poquelin père, à 500 livres d’intérêt, « déclarant ledit sieur Poquelin que ladite somme est pour employer à la réédification qu’il fait faire à journées d’ouvriers de ladite maison sous les piliers des Halles, lequel emploi il promet faire, et, par les quittances qu’il retirera des ouvriers qui travailleront à ladite réédification, déclarer que les deniers qui leur seront payés proviendront du présent contrat, afin que ledit sieur acquéreur soit et demeure subrogé aux droits, privilèges et hypothèques desdits ouvriers. » Par deux autres actes passés le même jour par-devant les mêmes notaires, Rohault déclarait que la rente constituée par Jean Poquelin « était due et appartenoit à Jean-Baptiste Poquelin de Molière, auquel il n’avait fait que prêter son nom. » Les biographes de Molière apprécient ce double contrat de manière très différente : les uns, avec Soulié, y voient un acte de piété filiale ; les autres un placement avantageux et entouré de garanties habilement prises, car le débiteur était obligé d’employer le prêt à la constitution du gage ; et, s’il ne remplissait pas ses engagemens, le créancier, grâce à l’entremise de Rohault, aurait en recours contre l’intermédiaire[1]. La lecture attentive des pièces confirme pleinement la manière de voir de Soulié. Si Molière employa Rohault, c’est qu’il pouvait de la sorte protéger Jean Poquelin contre lui-même en l’obligeant à ne pas gaspiller la somme prêtée. En effet, le tapissier avait fort mal administré ses affaires, et il y avait là de quoi mettre en défiance. Ne chercherait-il pas, malgré
- ↑ A. Vitu, la Maison des Pocquelins aux piliers des Halles.