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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/393

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l’humanité mourra de faim, de froid et manquera d’abri. La doctrine n’est pas neuve, quoique singulièrement contradictoire. Puis arrivent les protectionnistes. Tout le mal vient de ce que l’on ne se protège pas assez ; tous les pays souffrent parce qu’ils achètent trop et vendent trop peu. Il faut protéger davantage. Quand les différens pays auront réalisé cet idéal mystérieux de se vendre beaucoup les uns aux autres sans rien s’acheter réciproquement, quand ils auront annulé par des droits de douane les diversités de forces productives qui tiennent à la nature ou à des antécédens lointains, quand ils auront supprimé la division territoriale du travail au sein de l’humanité, les beaux jours réapparaîtront et les années heureuses se suivront sans interruption. Examinons successivement ces opinions variées.


I

A tout seigneur, tout honneur. C’est à la petite école, si ardente, si tenace, si bruyante, qui gémit sur la démonétisation de l’argent en quelques pays que l’on doit d’abord accorder son attention. Nous nous tiendrons à l’écart du côté métaphysique de la question. Le monde scientifique et le monde financier sont rassasiés de discussions sur l’étalon double et l’étalon unique. Aussi nous ne souillerons mot de cet important débat. C’est uniquement de l’influence positive et actuelle des faits monétaires récens sur les prix des marchandises et sur le commerce que nous allons parler.

Il y avait naguère deux métaux, tantôt rivaux, tantôt alliés, qui se disputaient et qui parfois se partageaient la fonction monétaire dans le monde, l’or et l’argent. Chacun d’eux avait ses territoires propres ; en outre, ils détenaient ensemble des territoires communs. L’or régnait souverainement en Angleterre, aux États-Unis, dans les pays Scandinaves ; l’argent trônait sans rival aux Indes, en Allemagne, et nominalement en Autriche, en Russie. Enfin, les deux métaux, cessant d’être ennemis et devenant des frères unis étroitement, possédaient par indivis la France, l’Italie, la Suisse, la Belgique, la Grèce, ce que l’on appelle l’Union latine. Ils y avaient les mêmes droits légaux ; on pouvait recourir indéfiniment pour les paiemens à l’un ou à l’autre, à la simple condition de donner 15 grammes 1/2 d’argent monnayés à la place d’un gramme d’or, ou réciproquement. C’est ce que M. Cernuschi, dans le langage imagé dont il a le secret, appelle le pair bimétallique. Ce pair n’existait que dans quelques pays, non dans tous, comme on l’a vu tout à l’heure. Après les événemens de 1870-71, l’Allemagne, enflée par