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Dans ce cadre d’un royal ballet ou d’une pantomime avec paroles, il a donc brouillé l’intrigue d’une sorte de Dépit amoureux ; il y a mis une « comédie des comédiens, » dans le goût de l’Impromptu de Versailles (il a même voulu que ces comédiens, poussant ici jusqu’à la représentation d’une petite pièce dans la grande, — comme feraient plus tard ceux d’Hamlet, — donnassent lieu à des remarques littéraires, dans le goût de quelques parties de la Critique de l’École des femmes) ; enfin, pour qu’elle égayât ce décor pastoral de quelques nichées de gracieuses et gazouillantes fictions, il a donné libre vol à sa fantaisie.

Voilà, — ce n’est ni plus ni moins l’argument, — du Songe d’une nuit d’été : pour n’être pas, à plusieurs reprises, déconcerté par un tel ouvrage, il faut savoir à quel genre il appartient ; combien ce genre, a si peu d’importance qu’il prétende, est complexe ; de combien d : ingrédiens, si légère qu’elle soit, cette babiole est farcie. Or, inconnue jusqu’ici sur les théâtres de France, elle n’y trouve plus d’analogues : les Amans magnifiques, représentés aujourd’hui, ne dérouteraient pas moins le public et l’ennuieraient davantage. Nos classiques ne se sont perpétués sur la scène qu’autant qu’ils se sont astreints à « l’exacte régularité ; » malgré la prétendue émancipation du théâtre par le romantisme, nos modernes, même naturalistes jusqu’à tel ou tel degré, continuent de marcher par la principale voie des classiques, ne manquent guère à la coutume de l’unité de ton, et ne manquent pas du tout à celle de l’unité d’action ou de sujet. Cette unité, qu’elle ait été approuvée d’abord, puis exigée par la raison dans l’intérêt de l’art, qu’elle soit une nécessité librement admise et placée au rang de loi, — ainsi que plusieurs, qui ne sont dupes volontiers ni des pédans ni des novateurs, ne craignent pas de le soutenir, — qu’elle soit louable et bienfaisante, ou qu’elle ne soit rien de tout cela, il est certain que le public, y étant habitué comme à une manière nationale, la réclame ; du moins, lorsqu’elle lui fait défaut, il se tracasse, il s’effarouche : si l’on veut le faire passer par plusieurs chemins, à chaque carrefour, il rétive. Il est donc certain que ce genre composite inquiétera jusqu’au bout la majorité des spectateurs ; il est également sûr que, même s’il est une fois reconnu, même si cette majorité en a pris son parti, rien ne semblera plus indigne du génie d’un grand homme.

Cependant nous savons, nous, que tant vaut l’artiste, tant vaut l’œuvre d’art, — au moins en ce qu’elle a de meilleur, — quel qu’en soit le genre. Shakspeare, qui, de son vivant, n’était pas encore dieu, mais acteur et directeur de théâtre, a fait ici une comédie-ballet ; (il l’a même composée, selon toute apparence, avant l’âge où il écrivit ses œuvres capitales, à l’approche de la trentième année) ; il l’a faite suivant le goût de l’époque et munie de motifs de spectacle et de jeux de scène et de quolibets qui devaient divertir un public de grands enfans.