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davantage qu’ils fussent des Cours des miracles où les parens déversaient leurs boiteuses, leurs bossues et leurs idiotes. Elle envoyait des gentilshommes examiner les postulantes et refusait les difformes, quelle que fût leur dot. Quant aux « imbéciles, » elle n’en voulait non plus à aucun prix; « c’est incurable, » disait-elle.

Par-dessus tout, elle redoutait les « mélancoliques. » c’était sa terreur, car elle avait remarqué que le mal de mélancolie se gagne, qu’il y a des épidémies de mélancolie: nous dirions aujourd’hui de pessimisme. C’est une maladie, disait-elle, et « très dangereuse, » et il faut « la traiter comme telle. » Elle avait son traitement, qu’elle indique, et qui est double : pour le corps et pour l’esprit. Pour le corps, on enverra périodiquement la mélancolique à l’infirmerie et on la purgera, on l’empêchera de trop jeûner et on lui donnera peu de poisson ; dans la médecine de sainte Thérèse, le poisson forme essentiellement les humeurs peccantes de Sganarelle, source de maux. Pour l’esprit, on l’empêchera de rêvasser, quitte à abréger ses prières, on la contraindra à l’action en lui donnant les travaux manuels de la maison, on lui fera entrer dans la tête qu’elle n’est pas intéressante, en la traitant sans aucun égard particulier et en l’obligeant à obéir comme les autres. Sainte Thérèse avait remarqué que l’obéissance coûtait beaucoup à la mélancolique, et elle en avait tiré ses conclusions. « On appelle mélancolie, disait-elle, ce qui n’est au fond que le désir de faire sa propre volonté. » Elle disait aussi que le siège de ce mal est dans l’imagination, qu’il est très rare que l’en en guérisse ou que l’on en meure, mais que l’on en devient souvent fou et, toujours, insupportable.

Elle était très sensible à l’instruction, mais elle plaçait le jugement au-dessus, haïssait les pédantes et les bavardes. Dieu, leur disait-elle, « ne se soucie nullement que nous lui rompions la tête avec de longs discours. » Au fond, elle pensait que Dieu a la faculté de n’écouter que d’une oreille et qu’il tient compte surtout de l’intention; quand elle arrive chez les neuf bonnes demoiselles dont « une seule savait bien lire, » et qui passaient leur journée à épeler les offices dans des livres différens, en sorte que cela n’allait jamais ensemble, elle déclare sans hésiter que Dieu « acceptait leurs pieux efforts, » qui étaient en effet très grands. Elle aimait la jeunesse et sa « gaîté charmante, » que rien, pour sa part, ne lui enleva jamais. Il faut l’entendre raconter, à près de soixante ans, les frayeurs de la sœur Marie, vieille et très impropre de toutes façons à éveiller les mauvaises pensées, à l’idée de coucher dans une ancienne maison d’étudians. Sœur Marie ne pouvait s’ôter de l’esprit qu’un des étudians était resté caché en son honneur dans la maison : « Je