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conserver comme la prunelle de l’œil ; il fallait non-seulement les maintenir, mais les maintenir dans leurs bonnes dispositions ou naturelles ou de circonstance, et, pour cela, il ne fallait ni les presser outre mesure, ni les effrayer mal à propos. Il fallait même leur passer beaucoup de fautes ; on n’est parti qu’à ce prix ; on ne garde qu’à ce prix le terrain gagné. Un jour, en 1831, au plus fort des luttes de cette époque, M. Casimir Perier nous disait : Je n’ai que faire de votre appui quand j’ai raison ; c’est quand j’ai tort qu’il faut me soutenir. Il était dans le vrai, et cette boutade vaut un axiome. Nous n’en savions pas tant en 1819, mais nous en savions assez déjà pour être inexcusables de sacrifier le ministère Richelieu au maintien de la loi des élections.

Au vrai, M. de Richelieu n’avait tort qu’à demi, et ne s’effrayait pas sans motif. La loi des élections, bonne en principe, était, sur certains points, imprudente, et portait évidemment des fruits révolutionnaires. Il n’était guère possible de la maintenir telle quelle ; et la preuve, c’est que, dès l’année suivante, un ministère formé précisément dans ce dessein fut forcé d’y renoncer. Le bon sens recommandait un compromis. En substituant à l’élection par département l’élection par arrondissement ; en abolissant ainsi le scrutin de liste ; en limitant le nombre des électeurs admis au simple titre de la patente, comme nous avons limité en 1850 le nombre des électeurs admis au titre du suffrage universel, je veux dire par la condition sensée et morale de trois ou cinq années de domicile, on aurait désarmé la loi du 5 février de tous ses inconvéniens, et satisfait le roi, ses ministres, les gens sensés, sans briser le ministère : tout au contraire, cet exemple de modération et de sincérité les aurait engagés de plus en plus dans la bonne voie, et, selon toute apparence, conduits plus loin, pas à pas, qu’aucun de nous à cette époque n’aurait osé l’espérer. Au lieu de cela, notre résistance (je dis notre, quoique je n’y fusse que pour mes vœux et mon langage dans les conversations privées), notre résistance, dis-je, entraîna la retraite de M. de Richelieu et la rupture du ministère, sans nous donner pouvoir d’en former un nouveau qui fût à nous et qui fût de force à mener à bien la lutte qui lui tombait en partage.

Le successeur de M. de Richelieu, M. Dessolle, était un vieux général de l’armée du Rhin, d’un esprit fin et modéré, mais étranger aux difficultés du gouvernement parlementaire, dont la conduite en 1814 et durant les Cent jours avait été honnête et sensée, les services médiocres et la réputation, à peu près tombée dans l’oubli ; c’était, en réalité, un pis-aller, ou, si l’on veut, un homme de paille destiné à garder la place d’un premier ministre pour M. Decazes, qui ne paraissait pas encore d’étoffe à l’occuper.