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qui égaie les yeux et qui réchauffe les âmes, soit qu’elle s’épanche librement à l’extérieur, soit qu’elle pénètre par des ouvertures plus ou moins généreuses dans l’intérieur des habitations, n’est pas, dans ce moment, particulier aux peintres français. Les peintres étrangers, notamment ceux de Hollande, de Suède, de Norvège, auxquels les vieux maîtres des Pays-Bas ont toujours donné, à ce sujet, d’excellens conseils, se livrent à l’analyse des phénomènes lumineux avec une ardeur qui doit nous tenir en éveil. Outre qu’ils sont, en général, par tempérament, plus hardis coloristes que nous, ils apportent d’ordinaire, dans la représentation de la vie quotidienne, une sorte de bonhomie naïve et d’attendrissement naturel auxquels nous sommes moins enclins et qui donnent à leurs tableaux une saveur fort appréciable. Est-ce à notre éducation, est-ce à nos habitudes sociales qu’il en faut demander la cause? Nous avons beaucoup de peine à être sensibles sans sentimentalité, attristés sans pessimisme, tragiques sans déclamation. Presque tous les sujets, empruntés à la vie des ouvriers, qui ont l’intention de nous émouvoir, affectent des mises en scènes mélodramatiques qui n’atteignent pas toujours leur but. On pourrait remplir une salle entière de tous les meurtres, suicides, rixes, scènes d’ivresse, de grèves, de clubs où l’ouvrier parisien n’apparaît que sous un jour lugubre ou sous un aspect détestable. Quelques-uns de ces tristes épisodes sont traités avec émotion et talent, notamment la Misère de M. Perrandeau, et le Lendemain de paie de M. Marec. Mais comment ne pas voir avec peine des artistes jeunes s’enfoncer non-seulement dans les idées sombres, mais, ce qui est plus fâcheux encore, dans la peinture noire? Leur pinceau s’alourdit en même temps que leur esprit s’afflige ; l’assombrissement de leur pensée s’étend sur leur palette. C’est aussi le cas de M. Geoffroy, le peintre attitré des écoliers, qu’il connaît si bien et dont il nous a raconté tant de fois les douleurs petites ou grandes. Son étude, les Affamés, est sincère et poignante, mais les figures y sont dispersées, la couleur éparpillée, l’effet général réduit plutôt qu’augmenté par la grandeur de la toile. Un impressionniste qui a fait quelque bruit, M. Raffaelli, dont l’observation est brutale mais pénétrante et parfois vivement exprimée, en nous montrant quelques ouvriers au travail, Chez le fondeur, a fait, dans un air plus respirable, une étude beaucoup plus saine. Parmi les scènes pacifiques d’atelier assez nombreuses au Salon, la plus saisissante par la simplicité des attitudes, la justesse de la lumière, la finesse de la peinture est le Dérapage des métaux de M. Gueldry.

C’est dans les études d’intérieurs familiers ou laborieux, aussi bien que dans les études de plein air, qu’excellent surtout les étrangers. Il y aurait une étude spéciale et intéressante à faire sur la