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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/613

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façon dont les Hollandais, les Suédois, les Norvégiens, les Anglais, les Américains, élevés souvent dans nos écoles, mais très habiles à reconquérir leur indépendance, comprennent les poésies de la vie humble et les savent exprimer à l’aide de la lumière. La rivalité qu’ils ont établie, avec nous, sur ce terrain longtemps inexploré, où les découvertes vont se suivre rapidement, est de nature à nous faire réfléchir. Jusqu’à présent, nous gardons une supériorité de tradition technique; en général, même chez nos réalistes les plus intransigeans, le dessin est plus net, le dessous plus précis, l’équilibre de la composition mieux trouvé ; mais la simplicité, la vivacité et quelquefois la profondeur de l’impression devant les accidens communs de la vie, éclatent chez beaucoup d’étrangers avec une spontanéité surprenante. Lorsqu’ils y joignent la souplesse et la richesse des colorations, ils font des œuvres touchantes et vraiment dignes d’admiration. Nous ne saurions entrer dans l’examen de toutes leurs études, mais nous signalerons en première ligne, parmi beaucoup d’autres, à ceux qu’intéresse cette recherche d’un art populaire, les tableaux si vrais et parfois si poétiques de MM. Israëls, Kuehl, de Vos, Vail, Salmson, Artz, Baixeras, Kroyer, etc.

Toutes ces aspirations, en France et l’étranger, vers la vérité saine et franche des choses, vers l’expression simple des figures, vers la clarté fraîche de l’atmosphère, sont dues à l’action puissante qu’exerce depuis déjà longtemps, sur les imaginations rafraîchies, notre illustre école du paysage renouvelée par Jules Dupré, Théodore Rousseau, Millet. Là, l’activité n’a jamais cessé d’être féconde, et bien qu’on puisse y voir avec inquiétude quelques jeunes gens, comme leurs camarades d’à côté, se dépenser en inutiles efforts pour remplir, avec une matière trop mince, de trop vastes cadres, on peut constater que, dans cette section, les yeux restent toujours bien ouverts, l’admiration éveillée, la main ferme et vive. Un des survivans, toujours jeune, de la grande école, M. Français, reste là, d’ailleurs, pour prêcher d’exemple et pour donner des conseils, qu’on ne suit pas toujours, en renfermant, dans quelques pouces de toile, plus d’espace, plus de grandeur, plus d’émotion que ses voisins ambitieux en plusieurs mètres carrés. Son Pont sur l’Eaugronne et son coin de Ravin près Plombières, où chaque touche, fine et juste, a sa valeur et sa signification, prouve combien la science est une partie essentielle du talent, combien elle le fortifie, l’agrandit, le soutient, le perpétue! c’est, d’ailleurs, l’opinion bien évidente de tous les paysagistes sérieux. Tous, en vieillissant, comprennent que la composition raisonnée est le fonds solide sur lequel doivent reposer leurs observations réelles et tous s’efforcent non plus de s’annihiler devant les choses comme il est naturel et salutaire à l’étudiant