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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/624

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et philosophiques, les opinions politiques de ces juges improvisés? Faut-il éclairer leur intelligence ou toucher leur cœur? Quel est, pour les attendrir, le chemin le plus sûr? Ad corum arbitrium et nutum totos se fingunt et accommodant. Le jury façonne, à son insu, les avocats à son image. Ceux-ci, pour l’entraîner, commencent par le suivre. Ils lui présentent, dans un miroir fidèle, ses propres sentimens, bons ou mauvais, parés de couleurs éclatantes. C’est par là qu’ils mettent ses qualités à profit quand leur cause est bonne, et qu’ils profitent de ses faiblesses quand elle ne l’est pas.

Quel est, au juste, le devoir de l’avocat plaidant au criminel? Comment peut-il concilier les exigences de sa situation professionnelle avec les règles de la morale universelle? La question n’est pas facile à résoudre. Les anciens professaient, en cette matière, une grande tolérance. Les plaideurs athéniens recouraient sans scrupule au faux témoignage et créaient des preuves pour appuyer les faits, après avoir imaginé des faits pour justifier leur cause. Démosthène et tous ses confrères mentaient avec une aisance admirable. Ainsi s’expliquent les énormes contradictions des deux discours sur la Couronne, des discours prononcés pour Phormion contre Apollodore et pour Apollodore contre Phormion, du plaidoyer contre Conon, où celui-ci est dépeint comme le dernier des hommes et du plaidoyer contre Leptine, où Conon est exalté. Cicéron lui-même eut son Conon et son Apollodore ; il avait successivement porté aux nues et traîné dans la boue Vatinius et Cornélius Sylla: aussi, dans son Traité des devoirs, est-il gêné pour concilier ses doctrines morales avec ses procédés oratoires. Il s’en tire avec l’aide de Panétius, qu’il a provisoirement choisi pour maître. Qui le croira? Panétius, un petit-fils de Zénon, permettait à l’avocat de ne pas défendre le vrai, pourvu qu’il défendît le vraisemblable, et Cicéron d’écrire : « Voilà ce que je n’oserais pas dire, surtout dans un ouvrage philosophique, si le plus autorisé des stoïciens (gravissimus stoïcorum) ne le pensait ainsi. » Tant pis pour Panétius! Toutefois, le grand orateur enjoint à l’avocat de n’inventer jamais une accusation capitale contre un innocent. Il eût mieux valu dire, à coup sûr: « l’avocat n’accusera jamais un innocent! » Au contraire, le Traité des devoirs autorise l’avocat à défendre tout coupable pourvu que le coupable ne soit pas un monstre : l’opinion le commande, l’usage l’autorise, l’humanité le veut ainsi. Tel est le dernier mot de la sagesse antique.

Le barreau français professe une morale plus sévère. Il faut relire une allocution adressée aux stagiaires de Paris par le bâtonnier Chaix d’Est-Ange : « Ce que réclame le barreau, ce n’est pas le