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perfection. Les autres, outre qu’ils méconnaissent de véritables services, se leurrent d’une chimère s’ils le dénigrent pour le supprimer. L’institution, presque séculaire, est enracinée dans notre sol et n’en doit ni n’en peut être extirpée. s’il fallait ne maintenir que les institutions sans défaut, laquelle garderions-nous?


II.

Rien ne ressemble moins aux plaidoiries prononcées devant les tribunaux civils que les plaidoiries prononcées à la cour d’assises. Le juge ordinaire est de ceux qu’on émeut difficilement et qu’on séduit plus difficilement encore. D’ailleurs, l’esprit scientifique, qui imprègne tout notre siècle, s’est glissé jusque dans le « temple de Thémis. » On n’y entend plus au civil, surtout à Paris, que la langue « des affaires, » c’est-à-dire une langue dégagée des vieux oripeaux, simple et sobre, mais parfois sobre jusqu’à la sécheresse, simple jusqu’à la nudité. Berryer en 1854, J. Favreen1860 croyaient sans doute l’un et l’autre que le moment était déjà venu de s’arrêter sur cette pente lorsqu’ils engageaient leurs jeunes confrères, dans des discours à la conférence du stage, à « éviter une tendance qui n’existait pas autrefois, » et à fermer l’oreille « aux commodes préceptes du sans-gêne oratoire. » Ce conseil sera tôt ou tard entendu. Mais, en général, dans les procès civils comme dans les autres, on apporte au juge ce qui lui convient. Par exemple, s’il a l’horreur des dissertations juridiques, on les lui épargne. s’il les aime, les mêmes avocats se plient de bonne grâce aux habitudes des juristes et n’ont plus que Cujas et Bartole à la bouche quand il faut, pour le succès de la cause, citer Cujas et Bartole.

De même et plus encore à la cour d’assises. On tente de conquérir le juré comme on eût conquis le magistrat, quoique par d’autres procédés. Il faut, sous les yeux du juge ordinaire, analyser, disséquer l’affaire, ne négliger aucun des points menacés, boucher toutes les fissures, réparer toutes les brèches et marcher méthodiquement à la victoire. On peut, au contraire, épargner beaucoup de détails au jury, l’entraîner sur les sommets et monter à l’assaut. le juré s’arrête le plus souvent à des considérations générales, envisageant l’affaire dans son ensemble et par ses grands côtés : la tâche de l’avocat est d’autant plus complexe, parce qu’il s’adresse moins au juré qu’à l’homme. Il connaît d’avance les instincts, les idées, les goûts d’un juge quelconque; il doit connaître ceux du jury spécial qui va juger son client, et plaider en conséquence. A-t-il affaire à des commerçans ou à des laboureurs? quelles sont les idées morales