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devient bucolique et sentimentale. Le récit d’une noce de village, dans le plaidoyer pour Racle, de Delamalle, a comme une senteur de vieil opéra comique, et l’assignation métaphorique que le même avocat adresse à son adversaire devant le tribunal des femmes nous fait rêver d’Estelle et Némorin[1].

L’institution du jury contribua, sans nul doute, à transformer notre éloquence judiciaire. Le barreau du XIXe siècle allait se corriger, par la force des choses, de nombreux défauts qu’on reprochait à l’ancien barreau. Se figure-t-on le défenseur citant, devant ces nouveaux juges, Hercules, Theseus et Teucer, comme Brébart, ou concluant à un avant-faire-droit, comme Lizet, sur un passage de Tacite, ou brodant, comme Loisel, des variations sur un texte grec? Il fallait bien se résoudre non-seulement à parler français, mais à parler un français net, clair, intelligible à tous : c’en était fait du galimatias pédantesque. Les avocats allaient avoir à se prémunir contre d’autres erreurs, que devaient nécessairement encourager la composition et l’éducation du tribunal populaire. Mais du moins à quoi bon les exordes pompeux ? les périodes apprêtées et cadencées? On reprochera bientôt à Mauguin lui-même « d’avoir conservé les préparations solennelles d’autrefois. » Bellart ne sera qu’un « rhéteur éloquent, » parce « qu’on sent en plein, dans ses discours, l’école du XVIIIe siècle, » que « sa phrase est toujours surchargée d’ornemens et abonde en métaphores. » On raillera doucement Laîné d’employer deux ou trois vieilles figures de rhétorique « qui ne semblent avoir été mises là que pour donner date certaine à son éloquence. » Il faut absolument parler un autre langage, qui paraisse moins savant, alors même qu’il le serait davantage, un langage humain, qui parte ou semble partir du cœur pour aller au cœur; autant que possible naturel sans être vulgaire, pathétique sans être larmoyant, vigoureux sans être brutal, avant tout dégagé de la phraséologie banale et convenue, de la rhétorique molle et bouffie, qui ont fait leur temps.

M. Le Berquier avait exprimé, dans cette Revue, le vœu qu’une main pieuse essayât de recueillir les œuvres judiciaires des Berryer, des J. Favre « et de tant d’autres illustres maîtres restés fidèles à leur mission et à leur foi. » l’étude de ces œuvres, il l’espérait, démontrerait non-seulement que l’avocat moderne s’est attaché à parler juste pour parler bien, mais qu’il sait allier à un sens oratoire supérieur « la fermeté des convictions et le profond sentiment

  1. « Oui, c’est à vous, femmes, le chef-d’œuvre de la création et l’ornement de la terre; femmes sensibles, vous, le charme de la vie; femmes honnêtes, de la société le bonheur et la gloire ; oui, c’est à vous-mêmes que j’ose parler. j’ose vous demander pour juges. Je suis hardi, etc. »