leurs pensées l’une à l’autre dans un cadre rigoureux duquel ils ne dévient pas : celui-ci n’eût pas subi ce joug. Les idées accourent à flots pressés et les mots leur font cortège : chacun d’eux réclame son tour et veut pénétrer dans la place, qui ne peut pas les contenir tous. Mais la place est bien défendue et ne se rend pas aisément. Sans doute, la pensée ne sort pas d’un seul jet et se présente sous un assez grand nombre de faces ; mais chacune d’elles réfléchit un rayon de soleil, et la lumière se dissémine sans s’amoindrir.
Nous n’apprendrons rien au lecteur en lui signalant comme le chef-d’œuvre de Me Allou sa plaidoirie du 20 mars 1872 pour le général Trochu. Là, pas d’exorde : il a tout de suite lancé son auditoire in médias res. L’ordonnance du discours est irréprochable, l’argumentation brillante, animée, décisive, la force du raisonnement toujours rehaussée par la splendeur de la forme. L’orateur a trouvé de bonnes raisons exprimées dans un beau langage soit pour excuser le gouvernement de la défense nationale de n’avoir pas traité le 31 octobre 1870 avec la Prusse, soit pour expliquer que le général Trochu s’est uniquement proposé de faire durer la résistance et de maintenir la paix publique en attendant les chances heureuses, l’intervention diplomatique, l’effort de la France au dehors. Il n’a pas moins bien défendu le général, à qui l’on reprochait surtout la capitulation de Paris et l’expédition de Buzenval, contre cette double injustice des passions populaires. Enfin on ne saurait trop admirer tout le mouvement oratoire sur la chute de la dynastie napoléonienne, qui débute par ces mots : « Et c’est là la trahison? » alors qu’il signale la fuite a des amis et des fidèles » et qu’il peut, en nous montrant l’empire affaissé, non renversé, condamner encore toutes les révolutions, se demander même « en présence de la grande révolution, » « si le salut de la France n’était pas dans la grande trahison de M. de Mirabeau? » Me Allou fut, dans cette affaire, le rival heureux de Lachaud : il l’emporta sur ce redoutable adversaire non-seulement par l’ampleur du style et par la majestueuse beauté des développemens oratoires, mais encore par la solidité de la dialectique.
Cependant, si Lachaud ne fut pas le plus grand de nos orateurs judiciaires, il est peut-être notre premier avocat d’assises. Ce n’est pas la beauté de la forme ni la sûreté du raisonnement ni l’intensité de la passion oratoire qui font l’avocat d’assises, c’est un ensemble de qualités spéciales mélangées de quelques défauts propres à entraîner le jury. Ces qualités et ces défauts, Lachaud les possède à un si haut degré qu’on ne peut pas écrire dix lignes sur ce genre de procès et de plaidoyers sans penser aussitôt à lui. Peu s’en faut