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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/646

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qu’il ne personnifie aujourd’hui cette branche particulière de l’éloquence judiciaire.

Lachaud fut un tacticien de premier ordre. « Que de campemens! que de belles marches ! que de hardiesse ! que de précautions ! que de périls! que de ressources! » Il savait même, comme ce grand capitaine que Bossuet a dépeint, « profiter des infidélités de la fortune. » Le jury n’aime pas, en général, les fanfarons d’impiété. On peut se rendre compte, en lisant la plaidoirie prononcée pour l’impie La Pommerais, de l’habileté singulière avec laquelle Lachaud se dégage d’une situation fausse, provoquant la sympathie du jury par une profession de foi personnelle, l’attendrissant sur un homme d’autant plus à plaindre « qu’il pense que tout se termine avec la vie de ce monde, » affirmant enfin que, si l’empoisonneur n’avait pas eu de croyance religieuse, « il doit en avoir une aujourd’hui, » et que, « s’il a douté de Dieu, son malheur le ramènera à Dieu. » Le client a-t-il, d’aventure, la figure d’un imbécile? Il tirait de cette figure un parti merveilleux, transformait le voleur ou le faussaire « en un bon bourgeois qui aime à faire sa partie de dominos et à lire le Constitutionnel. » Il disait aux jurés : « Regardez-le donc, » et les faisait rire : un juge qui rit est bien près de pardonner. Il excellait d’ailleurs à lire sur leurs traits tout ce qui se passait ou même ce qui allait se passer dans leur âme : « Je touche ici, je le sens bien, dit-il dans l’affaire Troppmann, aux délicatesses les plus grandes de la cause, et j’entends déjà tout ce qu’on pourra me répondre ; je vois tous les sourires que ma parole fera éclore... » « Croyez-vous, dit-il encore aux jurés dans l’affaire de La Pommerais, que je ne lise pas sur vos figures ? que je ne sois pas en communication avec vous ? » Il disposait en conséquence ses raisonnemens et ses mouvemens oratoires, comprenant mieux que tout autre, dans le feu même de l’action, s’il devait parler à l’esprit ou au cœur, exciter la colère ou la pitié, ce qu’il devait dire et ce qu’il devait taire.

Lachaud était doué d’une certaine chaleur d’âme très communicative alliée à une apparence de bonhomie qui devait attirer à lui cette classe spéciale d’auditeurs. Il n’avait pas, pour atteindre ce but, un grand effort à faire. Il était, lisons-nous dans l’introduction qui précède la récente édition de ses plaidoyers, « doux et compatissant; » nous le croyons après l’avoir lu comme après l’avoir entendu. Il apportait en général dans la lutte beaucoup d’ardeur sans violence ; il ne déchirait pas ses contradicteurs et parfois même, au lieu de railler ou de pourfendre l’avocat-général, il savait lui faire un compliment. On n’imagine pas l’effet qu’un tel compliment, bien placé, peut produire sur le jury! Celui-ci finit par se convaincre