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tarda pas, comme ma théorie de la provocation, à se perdre dans les exceptions et les ambages.

J’avais choisi le mot offense pour désigner le délit commis par voie de publication contre le roi, les chambres, les princes de la maison royale et les chefs des gouvernemens étrangers.

Ce mot répond, en effet, à une nuance d’idée juste et délicate. Les personnes individuelles ou collectives que leur dignité place au-dessus de toute atteinte peuvent être offensées, elles ne peuvent être ni diffamées ni calomniées. Le mot fut trouvé bon, et il est resté. La diffamation, la calomnie n’ont de prise que d’égal à égal, c’est-à-dire entre personnes que le pacte constitutionnel ne place point hors de pair, lors même qu’il admettrait entre elles certaines distinctions. La diffamation, c’est l’imputation d’un fait déshonorant ; la calomnie, c’est l’imputation mensongère de ce même fait.

Tenant compte de la différence dans la sphère où les deux termes pouvaient être appliqués, je laissais, dans mon projet, à la partie lésée, le choix de poursuivre en diffamation ou en calomnie. C’était lui conserver, dans le dernier cas, le droit de mettre son adversaire au pied du mur, en le sommant de prouver le fait avancé par lui, mais c’était, j’en conviens, dans l’autre cas, laisser planer sur la partie lésée quelque soupçon de la vérité du fait imputé. Mon système était, je crois, juste et viril ; il ne sacrifiait point l’innocent au coupable ; mais, grâce à la mollesse de nos mœurs, ce fut le système opposé qui prévalut. On n’admit que la poursuite en diffamation.

Je passai, quoique à regret, condamnation quant aux personnes privées, mais je tins bon en ce qui touche les fonctionnaires publics. Je maintins, et je fis prévaloir à grand’peine que tout fonctionnaire public attaqué pour un fait relatif à ses fonctions serait tenu, en portant plainte, de provoquer ou de supporter la preuve du fait imputé, et n’aurait, si le fait était reconnu vrai, droit à aucune réparation. Cette disposition excita les plus vifs débats dans notre petit conseil préparatoire ; j’y fus soutenu par M. de Serre, M. Royer-Collard et M. Guizot ; je n’exagère point quand je dis que M. Cuvier en pleura de dépit et d’inquiétude. Il céda néanmoins ; la discussion ne fut ni moins vive ni moins réitérée dans les chambres ; elle eut momentanément le même succès ; je dis momentanément, car ce fut une des premières dispositions sacrifiées dans la réaction qui s’ensuivit dès l’année d’après ; à mon sens, elle faisait partie implicite sans doute, mais intégrante, de la constitution elle-même.

Point de difficulté quant à la définition de l’injure. Point de difficulté dans le projet sur la procédure quant au renvoi des