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sait qu’il n’en existait plus en circulation), ne serait ni libre ni illimitée. L’avantage précieux de la liberté de la frappe sans limitation de quantité, qu’avaient surtout en vue les silvermen, jusque-là si heureux dans leur campagne bimétalliste, leur était ainsi enlevé. L’ancien dollar d’argent se voyait rétabli dans tous ses honneurs, mais la loi prenait de sages précautions pour que le pays ne fût pas brusquement inondé d’une nouvelle monnaie dont le caractère peu loyal ne faisait illusion à personne. Tout d’abord, le droit de faire frapper les nouveaux dollars était exclusivement réservé au gouvernement fédéral, qui seul bénéficierait directement de la différence entre le prix du métal en lingots et sa valeur légale en monnaie. Le privilège du monnayage était rigoureusement fermé aux particuliers. De plus, le gouvernement fédéral ne pourrait pas à son gré restreindre ou accroître la frappe des nouvelles pièces, sauf dans les limites étroites fixées par la nouvelle loi. Il serait tenu de consacrer tous les mois 2 millions de dollars au moins, 4 millions au plus à l’achat de lingots d’argent qu’il ferait immédiatement monnayer. Une clause du bill portait que le président des États-Unis devrait inviter les peuples de l’Union latine et d’autres nations européennes à une conférence pour l’adoption d’une proportion commune entre l’or et l’argent et l’établissement de l’usage international de la monnaie bimétallique.

Tel est, dans ses traits essentiels, le silver Bland bill, dont les prescriptions sont en vigueur depuis huit ans et dont le maintien est actuellement en discussion au congrès.

M. J. Sherman, secrétaire du Trésor au moment du vote de la loi Bland, était d’avis que l’exécution en pourrait être assez longtemps inoffensive, qu’elle n’opposerait aucun obstacle sérieux à la reprise des paiemens en espèces le 1er janvier 1879 et que ce serait seulement quand la frappe des monnaies d’argent se serait élevée à 100 millions de dollars, c’est-à-dire après trois ou quatre ans, que les effets fâcheux du bill commenceraient à se manifester.

On savait que le président des États-Unis, M. Hayes, était entièrement acquis aux vues des économistes de l’Est, adversaires de la remonétisation de l’argent, et l’on s’attendait à le voir appliquer dans la circonstance son droit de veto, ce qu’il fit en effet, déclarant, dans son message au congrès, qu’il lui était impossible de sanctionner une mesure autorisant la violation formelle d’engagemens sacrés de l’Union. Mais le président, malgré d’incontestables qualités, un caractère sans tache, et d’excellentes intentions, n’avait aucune autorité sur le congrès. Isolé, sans force, il portait à la Maison-Blanche le poids des origines douteuses de son pouvoir. On ne fit même pas aux objections dont il avait accompagné son veto l’honneur