Sir Robert Peel ressentit vivement cette injure; mais, toujours maître de lui, froidement impassible comme Pitt, il déclara qu’il s’expliquait sans peine la mauvaise humeur de M. Disraeli, qu’il avait perdu ses bonnes grâces en lui refusant un portefeuille : « Jadis vous m’avez prodigué votre encens; mais croyez bien que je suis indifférent à vos insultes autant que je l’étais jadis à vos empressemens et à vos flatteries. »
Les procédés auxquels recourut lord Beaconsfield pour satisfaire son ambition ne furent pas toujours absolument corrects. Il avait peu de scrupules, sa conscience ne le gênait pas, et certains artifices, certaines jongleries ne lui répugnaient point. Mais quand il fut arrivé, il prouva à l’Angleterre et à l’Europe qu’il était né pour les grands emplois, qu’il possédait le génie des affaires et de la politique. A la clairvoyance, à la souplesse de l’esprit il ajoutait la subtilité de la main; il savait s’insinuer, il savait commander, et on comprend que, dans la situation présente du royaume-uni, les tories désorientés, battus de l’oiseau, condamnés à se laisser conduire par des maladroits ou des téméraires, pleurent leur ancien chef, celui qui les menait à la victoire.
Plein de respect pour les traditions, il n’était point superstitieux; il avait le sentiment des temps nouveaux, il recommandait ou imposait à son parti les sacrifices nécessaires. Lamennais, dont il avait fait la connaissance à Paris et qui l’avait séduit par le charme de sa conversation et la simplicité de ses manières, écrivait le 30 juin 1846 : « Voyez ce qui se passe en Angleterre... Cette aristocratie si habile ne s’abrite qu’en cédant. Elle sème de ses dépouilles le chemin où elle fuit, pour retarder le vainqueur. La folie des hommes et des gouvernemens est de rêver l’éternité. On vous en donnera de l’éternité, imbéciles[1] ! » Lord Beaconsfield ne rêvait pas l’éternité pour les institutions anglaises; mais il savait concilier les résistances avec les concessions, et il donnait un air de fierté et d’audace à une politique d’accommodement. Lorsqu’il eut acquis, en 1876, les honneurs de la pairie, il prit congé de ses électeurs du comté de Buckingham, en leur adressant une lettre où il résumait en ces termes le programme qu’il avait fidèlement rempli : « Sans méconnaître la loi du progrès, je me suis toujours efforcé de concilier les changemens inévitables avec ce respect pour la tradition, qui est le principe de notre prospérité sociale. »
Il ajoutait : « En ce qui concerne les affaires extérieures, je me suis appliqué à développer et à fortifier notre empire, dans la pensée que les actions viriles, les hauts faits et les responsabilités élèvent et ennoblissent le caractère comme la condition d’un peuple. » Aucun des hommes
- ↑ Correspondance inédite entre Lamennais et le baron de Vitrolles, publiée avec une introduction et des notes, par M. Eugène Forgues. Paris, 1886; Charpentier.