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Le ministère, c’est-à-dire le roi, M. Decazes et le parti doctrinaire, — car les ministres autres que M. Decazes et M. de Serre, excellens chacun pour son compte, ne comptaient guère en politique, — le ministère, dis-je, ainsi défini, se trouvait donc placé dans la fâcheuse alternative ou de tenir la gageure contre l’influence des ambassadeurs, l’attitude menaçante de leurs cours, les invectives de la haute société, les alarmes de la bourgeoisie honnête et timide, ou de modifier profondément sa ligne de conduite en sacrifiant plus ou moins la loi des élections.

Frappé lui-même, et comment ne l’être pas ? de l’ascendant croissant du parti révolutionnaire dans les élections, des idées révolutionnaires dans la gauche ministérielle, le ministère pensa, tout bien considéré, que la partie n’était plus tenable ; qu’il fallait faire au feu sa part et réformer une loi qui mettait périodiquement tout en péril. Quand je dis le ministère, j’entends par là M. Decazes, M. de Serre et M. Portal ; les trois autres ministres, M. Dessolle, M. Louis et le maréchal Saint-Cyr, trouvaient le changement plus périlleux que le statu quo ; mais leur résistance, si je ne me trompe, pouvait être surmontée ; il ne fallait pour cela qu’une chose : d’accord sur le mal, il fallait se mettre d’accord sur le remède ; d’accord sur le but, il fallait l’être sur le moyen.

Là fut la pierre d’achoppement. Le parti doctrinaire lui-même, ce parti si peu nombreux, et dont la force principale était dans l’union de ses membres, se coupa en deux : d’un côté, M. Royer-Collard, M. Camille Jordan, M. Beugnot, M. de Barante ; de l’autre, M. de Serre, M. Guizot et moi, M. Decazes et le roi inclinant en notre sens.

Il y avait un point néanmoins sur lequel l’expérience nous avait tous éclairés : plus d’élections par département, plus de scrutin de liste ; à cet égard, nulle difficulté, mais, d’un commun aveu, le remède, réduit à cela, n’était pas suffisant, et, pour faire passer une mesure aussi restreinte, il était fort douteux qu’on pût trouver dans la partie modérée du côté droit le nombre de voix qu’on perdrait du côté gauche. M. Royer-Collard et son petit groupe trouvaient ce complément au remède dans la réduction du nombre des électeurs ; c’est-à-dire dans le retranchement, sur chaque liste, d’un nombre déterminé de moins imposés.

M. de Serre et moi, trouvant au contraire le nombre des électeurs déjà trop restreint, nous proposions de le maintenir intégralement, en attribuant aux plus imposés deux voix au lieu d’une, conformément au principe admis dans la société commerciale, où le nombre de voix attribué à chaque actionnaire augmente*avec le nombre des actions. Dans notre système, l’élection aurait été répartie par arrondissement, et tout contribuable payant 300 francs