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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/712

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ils ont imaginé un moyen de tout sauver, de tout pacifier ! Ils ont eu la fantaisie de réveiller cette oiseuse et irritante question de l’expulsion des princes. Mais quels princes expulsera-t-on ? Comment et sous quel prétexte les bannira-ton ? Qu’à cela ne tienne ; l’essentiel est d’engager l’affaire, de se jeter dans le gâchis, on s’en tirera après comme on pourra. Nos républicains ne s’en doutent pas : comme ils seraient pourtant ridicules, et simplement ridicules, si toute cette comédie, où la puérilité le dispute à la violence, ne coûtait si cher à la paix publique, aux intérêts les plus essentiels du pays, à la considération de la France dans le monde !

Tout en vérité est singulier et choquant dans cette mise en scène d’un nouveau genre préparée par des passions vulgaires, dans cette agitation factice organisée pour revenir à des mesures d’exception, à une proposition de lois d’exil contre des princes qui n’ont commis d’autre crime que d’être des princes. Tout est étrange, et la frivolité des motifs qu’on invoque et la nature des procédés qu’on emploie, et l’indigne fureur des partis qui conseillent ou imposent les proscriptions, et la faiblesse d’un ministère qui se laisse traîner sans convictions à des représailles dont il connaît lui-même l’iniquité. Que dans des momens de crise, au lendemain d’une révolution, au début d’un régime menacé dans son existence, assailli de dangers, un gouvernement cède à la tentation de se protéger par ce qu’on a appelé des lois de précaution, on le comprend encore. La république a eu la rare et heureuse fortune de pouvoir s’établir, de vivre sans avoir besoin de recourir à des mesures exceptionnelles, en abrogeant au contraire celles que les autres régimes lui avaient léguées. Ces princes qu’on veut bannir aujourd’hui, ils sont depuis quinze ans en France, satisfaits d’avoir retrouvé leur place au foyer de la patrie. Ils ont servi fidèlement sans chercher le bruit, et, si nous nous souvenons bien, l’un d’eux, qui est l’honneur du pays par ses talens, a même servi de témoin à M. le président de la république dans la cérémonie où M. Jules Grévy a été reçu chevalier de la Toison d’or. Un autre est le président d’une œuvre touchante de bienfaisance, qui s’est donné la mission de secourir les blessés de la guerre. Quelques-uns de ces princes ont été un jour atteints dans leurs sentimens les plus intimes par une mesure qui les éloignait de l’armée : ils se sont soumis, ils n’ont rien dit. Étrangers à toute agitation politique, ils n’ont jamais été surpris ni dans un complot, ni dans une intrigue. Ils ont mis une sorte de scrupule à ne réclamer d’autres droits que les droits de simples citoyens, à éviter tout ce qui aurait pu provoquer un soupçon ou une susceptibilité de l’état. Et, ce qu’il y a de plus curieux, c’est que naguère encore le gouvernement lui-même le reconnaissait. Lorsqu’il y a trois mois, des esprits turbulens s’essayaient à cette campagne, qu’on reprend aujourd’hui, et proposaient déjà la proscription