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et soumis à M. de Serre ; il diffère, sous plus d’un rapport, si j’ai bonne mémoire, du plan définitivement adopté et publié par M. Guizot dans le second volume de ses Mémoires ; on y trouvera l’exposé des motifs, tel que je l’avais préparé pour M. de Serre, et diverses notes très étendues sur les principales questions engagées dans ce projet.

Nos divisions intestines ne pouvaient rester secrètes. Le public en fut promptement informé. A l’instant, les trois ministres qui persistaient à soutenir la loi des élections devinrent les héros du parti libéral. Les trois autres et le parti doctrinaire tout entier ne furent plus que des apostats, des renégats, des intrigans de bas étage achetés à beaux deniers comptans. J’étais le premier dénoncé ; j’étais en quelque sorte le bouc émissaire. Sorti récemment des rangs du parti libéral, où les autres n’avaient jamais figuré, je n’étais pas seulement un déserteur avec armes et bagages, j’étais un traître qui livrait ses compagnons d’armes. C’étaient là les moindres gracieusetés dont m’affublaient chaque jour les journaux du parti. A mesure que mûrissait, en effet, le projet de réformer la loi des élections, la dissidence se prononçait de plus en plus entre les ministres ; une crise approchait, et, par contre-coup, la séparation se prononçait également de plus en plus entre le parti libéral et le parti doctrinaire ; elle éclata tout à fait par le procès intenté à la Société de la liberté de la presse, société dont je dois dire ici quelques mots.

J’en avais été l’un des fondateurs ; elle s’était formée, en 1818, des débris d’une autre société mort-née, en 1817, dont l’inventeur était Manuel et dans laquelle, tout plein alors d’une ardeur de novice, je m’étais engagé très étourdiment. Cette première société avait pour but de recueillir des souscriptions au profit des écrivains condamnés pour cause politique. Rien n’était plus irrespectueux pour la justice et, au fond, plus illégal. Je ne tardai pas à le reconnaître.

Manuel, le doli fabricator, s’était porté fort pour M. Laffitte, qui devait être le caissier des souscriptions ; il avait rédigé le programme ; nous l’avions fait circuler ; mais, M. Laffitte ayant désavoué Manuel, nous en fûmes pour notre courte honte ; nous retirâmes le programme et la société mourut sans avoir vécu ; c’est, encore un coup, de ses débris que nous formâmes une société nouvelle dont le but était légal : nous entendions discuter entre nous les conditions d’une bonne législation sur la presse. Cette fois encore, néanmoins, il y avait quelque chose à dire. Au nombre de plus de vingt, n’étant point munis d’une autorisation en forme, on pouvait à la rigueur nous chercher noise, mais l’usage de tolérer plus ou moins de semblables réunions, qui se tenaient tantôt chez