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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/781

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injurieux pour plusieurs des personnes qui s’y trouvaient présentes, notamment pour M. Casimir Perier ; je n’ai pas souvenance d’avoir rien entendu qui ressemble à ce qu’il raconte.

Rentré chez moi, je pensai qu’il était bon de faire un nouvel effort pour m’entendre avec ceux de mes collègues qu’un bon hasard me ferait rencontrer. Je me dirigeai de nouveau vers le Luxembourg, et j’y parvins sans difficulté ; tout était calme encore sur la rive gauche de la Seine, je n’y trouvai âme qui vive, mais j’appris, par des gens de service, autant qu’il m’en souvient, que M. de Sémonville et M. D’Argout étaient partis pour Saint-Cloud, dans le dessein, sinon dans l’espérance d’obtenir le retrait des ordonnances de la veille, cela, dis-je, ou quelque chose d’approchant.

Revenant sur le quai, vers la fin de la matinée, j’entendis, pour la première fois, mais de très loin, à la hauteur du boulevard, quelques coups de fusil. Après avoir dîné seul et très à la hâte, je rassortis pour me rapprocher du théâtre des événemens ; je rencontrai, sur le pont de la Concorde, M. de Vence, officier général, mais sans emploi à Paris, sans uniforme, et cheminant comme moi, en amateur. La fusillade se faisant entendre de plus en plus distinctement, je lui demandai si ce n’était pas, à son avis comme au mien, des coups tirés au hasard, ou des décharges à poudre : « — Non ! me répondit-il, ce sont des troupes de ligne qui tirent pour tout de bon ; c’est un feu de deux rangs ! » Ce mot technique m’est resté dans la mémoire.

Il était de six à sept heures du soir quand le duc de Raguse entreprit, avec le peu de troupes dont il disposait, de déblayer le pourtour du Louvre, et d’éparpiller les agglomérations entassées entre le Palais-Royal et le boulevard ; ce ne fut pas sans résistance, sans grêle de coups de pierres, sans charges à pied et à cheval, voire même sans commencement de barricades. j’essayai de pénétrer, par divers bouts successivement, dans les rues adjacentes, mais avec précaution, en évitant de grossir le nombre des curieux et d’attraper quelque horion.

N’y réussissant guère, je m’ingéniai pour apprendre, au moins, ce qui se passait ailleurs, et plus haut, — plus haut c’est-à-dire à Saint-Cloud. — Je me dirigeai vers la petite maison de M. Pasquier, qui savait, en général, tout ce qui se peut savoir. En arrivant ainsi rue d’Anjou, et ce n’était pas beaucoup s’éloigner, je trouvai le maître de céans dans son cabinet, entouré d’une demi-douzaine de pairs, plus ses amis que les miens, tous très effrayés et non sans raison, et faisant des efforts surhumains mais inutiles pour déterminer l’abbé de Montesquiou à se rendre auprès du roi et à tâcher de le fléchir au nom de son plus pressant intérêt. Cette tentative finit, si j’ai bonne mémoire, lorsqu’on apprit la démarche