les plus vives d’un brasier. Avec un pareil fond de tableau, la traversée de l’oued ne pouvait être qu’admirable. Un cordon de cavaliers était arrêté au milieu de la rivière afin d’indiquer le gué : pour la première fois, je fis attention aux cavaliers marocains, à leurs costumes, à leurs armes, à leur physionomie. Ils sont loin, bien loin de l’élégance des Tunisiens ou des Arabes de la province de Constantine. Leurs vêtemens, insuffisamment flottans, manquent de grâce, leurs fusils, toujours enveloppés d’une gaine en drap rouge, ressemblent à de gros bâtons qu’ils tiennent chacun comme il lui plaît, sans aucun souci de la discipline ou de l’élégance, leur sabre est invisible sous les lourds plis de leur djellaba, sorte de manteau à capuchon que tout le monde porte dans le pays. Mais ce qui est vraiment original, en même temps que franchement laid, c’est leur coiffure. Elle se compose d’une sorte de fez rouge, pointu comme une pyramide qu’ils comparent eux-mêmes à un piment. Sous ce piment ridicule, la plupart d’entre eux laissent pousser des deux côtés de la tête d’énormes papillotes, qu’ils ébouriffent dans tous les sens de manière à se donner l’air le plus farouche. Ils réussissent surtout à se donner l’air le plus grotesque. En Orient, les papillotes sont considérées comme déshonorantes ; les juifs seuls en portent, en vertu d’une prescription de la Bible qui leur ordonne de le faire pour se distinguer des Arabes. Ce serait un mauvais moyen pour se distinguer de ceux du Maroc. Le suprême bon ton chez ces derniers, tout le reste de la tête étant rasé, consiste à se garnir le sommet des oreilles avec ces longues mèches de cheveux flottantes et sales qu’ils prennent pour des épouvantails capables de terrifier l’ennemi. Presque tous nos soldats en étaient abondamment pourvus, et on les voyait s’agiter à la brise du matin. Droits sur leurs étriers, ces porteurs de papillotes, qui ressemblaient à certains personnages qu’on voit rôder le soir sur nos boulevards, regardaient défiler muletiers, chameliers, voyageurs, avec une impassibilité absolue. Le passage, étant facile, ne donnait pas lieu à tous les accidens que nous avions subis l’avant-veille. Toutefois notre colonne ne s’avançait que lentement, dans un assez grand désordre, occupant à peu près une longueur de (5 kilomètres. Nous nous tenions à la tête, avec les officiers de la mission ; quant aux soldats français et aux ordonnances, enchantés de se trouver dans un pays où on leur fournissait des vivres en abondance, ils gardaient tranquillement leur rang, plus occupés à manger des oranges ou des tartines de beurre qu’à conserver, en présence des indigènes, la dignité de l’uniforme national. L’Oued-el-Aicha traversé, nous suivîmes quelque temps la plage, sous une sorte de pluie fine qui se dissipa plus tard, lorsque, à peu de distance d’Azîla, nous tournâmes à gauche pour entrer dans une région de collines sans
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