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de ma résolution de retourner dès l’aurore à Tanger; il ne me répondit pas, sortit et rentra un poulet froid et une bouteille de chartreuse à la main, m’assurant que rien n’était meilleur pour combattre l’humidité. Sans le croire, je consentis à faire une expérience qui paraissait lui être agréable, et peu à peu je ne sais trop ce qui resta de la bouteille de chartreuse, mais je suis très sûr qu’il ne resta rien du poulet. Je me sentais réellement mieux, et comme M. Féraud m’avait affirmé que nous ne lèverions pas le camp jusqu’à ce que le beau temps fût revenu, rasséréné par cette bonne nouvelle qui me laissait toute ma liberté de revenir sur mes pas si la pluie continuait, je me pris à penser, avec mon optimisme habituel : après tout, cet orage est peut-être la fin de cette saison de pluies continues !

Et, en effet, c’était la fin. Dès le matin, un mieux sensible se produisit, bien que le ciel restât très sombre et la mer très houleuse à peu de distance de nous. Vers midi, quelques rayons d’un soleil décoloré percèrent les nuages ; il fut décidé qu’on transporterait le camp à une heure de marche environ, près de l’Oued-el-Aicha, toujours difficile à traverser, parce qu’il grossit démesurément lorsque la marée monte. Ce nouveau campement avait l’avantage d’être sur un terrain pierreux et sablonneux, partant moins humide, et, comme nous le dirigeâmes nous-mêmes, nous primes, bien entendu, notre revanche du fils du pacha de Tanger en lui laissant la plus mauvaise place. Nous avions en face de nous la plage toute droite, tout unie, s’étendant à perte de vue jusqu’à la petite ville d’Azîla, à peine distincte dans le lointain. Les longues lames uniformes venaient s’y aplanir sans cesse avec leur bruit violent. Je commençais à comprendre le mot par lequel Salluste caractérise ces parages de l’Afrique : mare sœvum, importuosum. Toute cette côte du Maroc, à bien peu d’exceptions près, forme ainsi une ligne continue de sable ou de rochers, sans baies, sans refuges, sans abris, que bat une mer rude, triste, agitée. Je l’entendis gronder la nuit, presque aussi tumultueuse que l’orage de la veille. Le lendemain, à cinq heures du matin, le clairon sonna le réveil, et le passage de l’Oued-el-Aicha commença. Je le franchis un des premiers pour jouir du spectacle de la caravane, que je n’avais pu contempler jusque-là. De gros nuages étaient amoncelés au ciel, du côté du levant, juste au-dessus de la colline où l’on renversait nos tentes, où l’on chargeait nos bagages, et où notre colonne se mettait en mouvement. Mais l’aurore les peignait déjà d’une teinte plus claire, d’une sorte de nuance roussâtre qui semblait annoncer un beau lever de soleil ; à mesure que celui-ci montait vers l’horizon, le roux fit place à une coloration rose qui s’enflamma de plus en plus, passant par des tons de flammes pour arriver aux ardeurs