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à fait semblable à la première, à deux exceptions près : d’abord l’adjonction de menthe et de verveine au thé des théières, ensuite la lessive des tasses qui se fait tout simplement en versant dans les théières le résidu qu’elles contiennent après que chacun a bu : parfois cependant la lessive ne se fait pas, ce qui est très propre, car alors, au lieu d’avoir le résidu de tous ses voisins, on n’a que le résidu d’un seul, la même tasse ne revenant jamais à la même personne. Il faut, pour être parfaitement poli, boire trois tasses, toutes trois horriblement sucrées, mais les deux dernières agrémentées de menthe et des résidus de celle ou de celles qui ont précédé.

On se fait à tout en voyage, même au thé marocain. j’ai fini à Fès par le trouver excellent et fort proprement préparé ; mais celui du cheik El-Habbâsi, malgré la grande quantité de sucre qu’il contenait, m’a paru un peu amer. Heureusement que, dissimulé dans un coin du salon de réception, j’ai pu le répandre presque tout entier sur un tapis sans que personne s’en aperçût. Le lendemain de cette initiation à l’un des plus grands charmes de l’hospitalité du Maroc, nous descendions dans la vallée du Sbou et nous traversions le fleuve. L’opération n’était pas des plus aisées. De Kariat-el-Hab-bâsi au Sbou, il n’y a pas beaucoup plus d’une heure de marche ; mais, grâce aux pluies diluviennes de l’hiver, nous avions à traverser deux énormes marais où nos chevaux enfonçaient jusqu’au poitrail. Nous arrivâmes au Sbou sans apercevoir le fleuve, tant il est encaissé dans des berges profondes, au milieu d’une plaine parfaitement plate, où rien n’indique sa présence. Le Sbou prend sa source au Djebel des Beni-Arzar à 4 kilomètres environ de Fès ; il a environ 550 kilomètres de développement, ses largeurs moyennes sont de 300,135,110 et 175 mètres. Sa plaine d’alluvions, qui commence véritablement au Sok-el-Tenin, après le Djebel-Seifat, et qui se prolonge jusqu’à la mer sur une longueur de 120 kilomètres, avec des largeurs moyennes de 10 à 50 kilomètres, comprises d’une part entre les collines du Gharb, dernières ramifications du Riff, et les montagnes des Zemmours-Chleuh d’autre part, est une des régions les plus fortunées du Maroc. Une tradition locale, recueillie par Marmol, affirmait que cette immense plaine avait été couverte autrefois par les flots de l’océan. « Élevée de quelques mètres à peine au-dessus de l’Atlantique, dit M. Tissot, elle n’offre, dans une étendue de 20 lieues de l’ouest à l’est, de 12 à 15 du nord au sud, aucune ondulation de terrain, aucun accident appréciable: à peine le regard est-il arrêté par le profil bleuâtre des hauteurs qui la limitent. C’est au milieu de ce vaste bassin que se déroule majestueusement le cours inférieur du Sbou, le plus grand cours d’eau de l’Afrique septentrionale, après le Nil : large de 300 mètres,