Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/908

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rendraient fou l’homme soumis pendant longtemps à un pareil supplice ou le délivreraient par la mort d’une telle existence? Voyez-les, sans nourriture chaude et convenable, sans le bien-être le plus élémentaire, le plus indispensable à l’homme, sans autre occupation possible que celle de se cramponner à tout et de compter les heures qui les séparent du moment de leur délivrance, ainsi que font des naufragés sur une épave, et, en fin de compte, se disant que, si dans une grosse mer, si fréquente au large, la machine s’arrêtait un moment par suite de l’avarie la plus facile à réparer ailleurs, mais là irréparable, sauf dans le calme complétais seraient menacés de sombrer, dévorés et roulés dans les volutes de la lame du travers?

Non, non, ne les comparez pas aux caravelles qui ont ouvert la route du Nouveau-Monde et bravé ses tempêtes, ces torpilleurs autonomes qui jusqu’ici n’ont accompli que des parades et dont, sur la foi de ce que vous attendez d’eux, vous faites les tyrans de la mer. Ces torpilleurs, dont la présence, dites-vous, doit eu balayer tous les vaisseaux, ainsi qu’un vent impétueux, auquel rien ne résiste, balaie la poussière des chemins; laissez-les sur les côtes, où ils pourront dresser leurs embuscades et revenir, après avoir frappé leur ennemi, se préparer à un nouveau combat, ainsi qu’un lion victorieux revenant s’accroupir dans sa tanière : leur rôle est de défendre nos côtes et de désoler celles de nos voisins sans aller braver la mer.

Et vous, vaillans vaisseaux de guerre, riches paquebots du commerce, ne tremblez pas encore : si la guerre éclate, prenez sans crainte, comme toujours, possession de ces solitudes où l’œil, pendant des semaines entières, n’aperçoit que des flots, toujours des flots; si les détroits vous sont fermés, descendez l’Atlantique, contournez l’Afrique ou l’Amérique du Sud, et si vous vous approchez de parages douteux où des torpilleurs ennemis peuvent guetter votre passage, ne croyez pas en être fatalement la proie sans espérer de salut et sans lutte; comptez pour quelque chose, comptez pour beaucoup les ressources que vous offrent votre sang-froid, votre intelligence, votre habileté de manœuvre, votre artillerie, les hasards de la mer et la fortune de la guerre.


DU PIN DE SAINT-ANDRÉ.