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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/914

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garde, celles de Scharnhorst et de Blücher; derrière est posée sur un socle l’énorme tête de Hegel; en face est la maison du roi. Tout cela se confond en une harmonie singulière : si on voulait la représenter par une allégorie, il faudrait dessiner une Minerve coiffée d’un casque pointu, armée d’un fusil et lançant un pied en avant selon les règles du pas décomposé.

23 avril. — Rencontre au musée de deux jeunes Français, tous les deux mes élèves. Leur conversation me fait grand plaisir. Ils étudient en Allemagne et ils étudient l’Allemagne. Ils n’ont ni l’esprit de dénigrement ni l’esprit d’admiration. Ils comparent le pays où ils sont nés et celui où ils vivent, et ils acquièrent des idées qu’ils n’avaient pas.

Voyageons, voyageons beaucoup. s’agit-il seulement d’apprendre la langue? Non certes, mais aussi d’élargir l’horizon de nos esprits, de mieux connaître notre propre moi au contact du non-moi, de nous enhardir à l’initiative et au renouvellement de nous-mêmes. Un Français qui habite l’Allemagne y porte avec lui la patrie. Il la retrouve dans ces retours sur sa propre conscience auxquels il est à chaque instant invité. Dans ce court voyage que nous faisons, mes compagnons de route et moi, rien ne nous laisse indifférens ; même un détail imprévu donne matière à des conversations fécondes. Nos sensations sont d’autant plus vives qu’elles font frissonner nos blessures. De découragement, il n’est pas même question. Nous sentons la nécessité de l’effort, et combien il doit être grand ; mais nous y sommes stimulés à grands coups d’éperon.

24 avril. — A travers les rues...

Aux étalages de toutes les librairies, se trouve, à côté de l’Œuvre de M. Zola, le Avant la bataille avec la préface de M. Déroulède. Sur ce dernier ouvrage, une étiquette porte le mot : Sensationnel ! avec trois points d’exclamation. On médit que le livre est fort exploité contre nous; les bonnes gens ne manquent point, paraît-il, qui croient que nous allons un beau jour entrer en campagne, sans raison, par plaisir, pour voir. J’ai même dû expliquer que je ne pouvais parvenir à me figurer M. le président de la république demandant aux deux chambres une déclaration de guerre et l’obtenant.

Il n’est pas bon sans doute de provoquer ces alarmes vraies ou feintes, mais il serait pire de comprimer par prudence toute manifestation du patriotisme. Ne nous déshabituons pas des accens de la « trompette guerrière » : il faut qu’elle sonne fort pour dominer le tumulte de nos partis. Hélas! la trompette de M. Déroulède fait plus de bruit en Allemagne qu’en France ! Je lis ici les journaux français : que de haines parmi nous ! Ce que les uns honorent, les