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avec timidité ; les voix, d’abord isolées, se réunissent/se répondent en gémissant : Salva me! Salva me! et la phrase se couronne par une péroraison pleine à la fois de détresse et d’espérance. Même procédé dans l’Ingemisco : après les soli, un ensemble éclatant comme une page du Stabat rossinien. Sur les mots: Qui Mariam absolvisti, l’idée musicale jaillit avec la clarté, l’abondance d’une source. Et la source ne rentre pas sous terre. Les mélodies de M. Gounod n’ont, jamais été de celles qui tarissent, à peine nées; au contraire, elles s’épanchent en nappes abondantes, et coulent, toujours plus larges, comme les fleuves. Le quatuor : Oro supplex séduit surtout par sa belle architecture vocale. Les parties extrêmes, soprano et basse, se rapprochent et s’éloignent alternativement, sans jamais étouffer les deux parties intermédiaires; on dirait ainsi que le tissu harmonique se resserre et se relâche tour à tour. Comme en outre la phrase est très régulièrement cadencée sur un accompagnement continu, il résulte de l’ensemble une sorte de balancement moelleux qui donne au morceau une couleur très particulière. Notons la fin délicieuse du Pie Jesu, qui ramène le motif typique des regrets et des larmes, devenu par l’altération d’une simple note le motif des consolations et des joies ; M. Gounod, dans sa préface, a pris soin de signaler cette transformation. Il est certain que le mode majeur succédant au mode mineur, et que le timbre caressant et clair des cors et des clarinettes employés ici, rassérène cette plainte mélancolique et change en soupir de contentement un soupir d’inquiétude et de tristesse.

N’achevons pas l’analyse du Requiem sans mettre hors de pair deux soli de soprano avec chœur : le Felix culpa et l’Agnus Dei, une page adorable et une page admirable. Le premier de ces chants est parmi les plus tendres que M. Gounod enveloppa jamais de sa mélodie aux contours élégans: il s’achève, après un léger retard, avec une pureté, j’allais dire une pudeur exquise. Quant à l’Agnus Dei, c’est une supplication de plus en plus fervente, puis une adjuration passionnée, un suprême et pathétique appel à cet éternel repos que demandent à Dieu les derniers comme les premiers versets de la messe des morts.

La première partie de Mors et Vita conclut par un épilogue instrumental, où se combinent savamment les mélodies typiques entendues au cours du Requiem. L’explosion finale de l’orchestre et de l’orgue, qui peut sembler une peu bruyante, symbolise le prochain triomphe de la vie sur la mort.

Au début de la seconde partie, le Jugement, l’humanité dort dans le sépulcre et, sur son dernier sommeil, le De Profundis plane en accords sombres. Bientôt retentissent les trompettes célestes, ces trompettes que Berlioz et Verdi, pour le dire en passant, ont fait sonner bien autrement terribles. À cette fanfare, malgré l’étrangeté voulue de ses harmonies,