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nous préférons l’effet mystérieux du Dies iræ liturgique : des trémolos syncopés donnent un caractère vraiment fantastique à cette levée des morts, qu’on entend sourdre confusément dans leurs tombeaux.

Après un noble récitatif annonçant la venue du Fils de l’Homme, l’orchestre, d’abord seul, puis renforcé par toutes les masses chorales, joue deux fois un chant de vingt mesures, et, subitement secouée par l’enthousiasme, voilà toute la salle debout, acclamant le compositeur dont le génie vient de faire explosion. On pourrait chicaner ici sur les détails, disséquer et critiquer à l’aise le procédé de M. Gounod. Simple transposition de la mélodie première, accompagnement en triolets, unisson, tout cela, dirait-on, se trouve dans cette phrase, désormais fameuse, comme cela se trouvait déjà dans une phrase analogue de Faust[1]. — Que la mélodie d’aujourd’hui soit la sœur très ressemblante de son aînée, nous n’en disconvenons pas; au fond, c’est presque la même, mais prodigieusement agrandie, transfigurée et portant avec elle une puissance d’émotion centuplée, irrésistible. Elle donne, surtout avec la reprise grandiose des chœurs, une impression de grandeur et de gloire, une vision du ciel ouvert, plein de clartés et de cantiques. Dans cette page superbe, le grand musicien a mis tout ce qu’il sent et tout ce qu’il sait. Et que les hardis, les téméraires du jour ne s’y trompent pas, l’auteur de Mors et Vita possède encore la science autant que le cœur. Il n’a rien perdu de ses qualités techniques : ni la pureté du style, ni l’amour des harmonies impeccables et de l’instrumentation à la fois ingénieuse et sobre; il conserve le grand souffle mélodique, l’ampleur de la période déployée en pleine lumière et triomphalement couronnée. Il garde aussi le secret d’une déclamation lyrique incomparable. Nous n’en voulons pour exemple que le magnifique récit : Et congregabuntur ante eum, dont l’autorité souveraine fait songer au geste impérieux donné par Michel-Ange au Christ du jugement dernier.

Jésus aura pourtant, selon M. Gounod, plus d’indulgence que de colère; nous serons presque tous à sa droite. Avec les mots : Venite. benedicti, sa voix prend une douceur infinie, un sourire passe sur la face divine, et le beau chant de l’Agnus Dei, celui qui tout à l’heure nous avait transporté, reparaît une dernière fois et s’achève dans une effusion de miséricorde. Nous le disions au début : l’inspiration de M. Gounod restera toujours tendre. Le maître pense avec l’Apôtre que la foi n’est rien sans l’amour, et sa musique religieuse même est pleine d’amour. Rien de plus naïvement aimable que le ravissant solo avec

  1. La phrase dont nous voulons parler est dite par les violons dans l’introduction. V. Gounod en a fait, à l’usage des théâtres étrangers, une romance pour Valentin.