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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/115

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quoiqu’elle ne soit pas tout à fait de la peur, est un sentiment assez analogue.

Voici un individu tranquillement assis dans son fauteuil et qui rêve, ou qui lit, ou qui cause. Tout d’un coup, une détonation violente, un bruit strident se fait entendre. Alors aussitôt il tressaille, il se lève, comme mû par un ressort, et il est pris d’un grand battement de cœur. On peut dire que c’est là presque le rudiment de la peur. C’est une peur tout à fait simple, un ébranlement physique, une émotion toute viscérale, mais qui n’en retentit pas moins fortement sur l’âme.

Le bruit du tonnerre, en particulier, est très effrayant, et nombre de personnes ne peuvent l’entendre sans ressentir quelque frayeur. Est-ce parce qu’on sait que le tonnerre, c’est la foudre qui apporte la mort ? est-ce parce que l’électricité atmosphérique contribue à rendre nerveux et excitable ? Est-ce à cause du bruit épouvantable de l’orage ? Toujours est-il que l’orage violent, avec le roulement continu du tonnerre, interrompu par les éclats plus retentissans de la foudre qui tombe à quelque distance, effraie facilement.

Les animaux eux-mêmes ont parfois la terreur de l’orage. Les tremblemens de terre et les ouragans, qui dans les pays tropicaux ont une extraordinaire violence, font naître chez certains animaux, notamment les plus intelligens, chiens, chats, chevaux, oiseaux, un sentiment d’angoisse instinctive, qui a été remarqué par tous les voyageurs, depuis Humboldt.

Le bruit fort, strident, soudain, a spécialement le don d’exciter la peur chez les animaux. L’ouïe est par excellence le sens qui sert à la peur. Les animaux carnivores, quoiqu’ils entendent parfaitement, ont peut-être l’ouïe moins fine que les herbivores ou les rongeurs. Les lièvres, les lapins sont sensibles aux bruits les plus faibles et se sauvent aussitôt. Les rats et les souris sont plus timides encore.

Un bruit fort, même quand il n’est pas soudain, cause toujours une sorte de surprise. Il est assez curieux de voir la figure que font différentes personnes quand on annonce qu’on va tirer un coup de fusil. Il y a une sorte d’inquiétude, avec un commencement de clignement des yeux. Et de fait, à un bruit violent, notre peur, — si tant est que ce soit de la peur, — se caractérise par un clignement de l’œil, une sorte de tressautement général avec battement de cœur. Au moment de l’Exposition de 1878, je voyais la figure des visiteurs qui regardaient tomber avec fracas un immense pilon d’acier qui, toutes les deux minutes, mis en mouvement par une machine à vapeur, enfonçait des madriers. À chaque coup de l’immense masse, dont le bruit était retentissant, tous les assistans fermaient les yeux, et je ne pouvais, pas plus que les autres, me