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mouna. J’ai déjà observé que la mouna, qui équivaut à la diffa algérienne, se compose des vivres destinés à la nourriture des simples voyageurs ou des caravanes qui voyagent sous la protection du sultan. Lorsque le sultan lui-même fait des expéditions et qu’il passe dans les tribus, celles-ci doivent lui apporter la mouna, qui naturellement est considérable. La nôtre me paraissait déjà fort importante. Nous la recevions tous les soirs, presque à la même heure, portée par un groupe de villageois que conduisaient les autorités locales. Elle se composait d’ordinaire de cinq ou six pains de sucre, d’un sac de thé et d’un bouquet de menthe (nânâ), d’une dizaine de boîtes de bougies, d’un panier contenant une centaine d’œufs, d’une trentaine de volailles, de quatre ou cinq vases remplis de beurre, de sept ou huit moutons, d’une centaine de pains, enfin d’un nombre variable de plats de couscoussou et de moutons rôtis nommés méchoui. Je ne parle pas, bien entendu, de l’orge pour les bêtes. M. Féraud assistait à la réception de la mouna qu’il devait juger, car, en principe, ce n’est pas un don gratuit, c’est un droit qu’on défalque ensuite des impôts payés par la tribu. Il faut donc qu’elle soit suffisante, abondante même, sans quoi la tribu est plus strictement taxée. Il était bien rare qu’elle ne fût pas abondante en effet. M. Féraud profitait de la circonstance pour adresser quelques bonnes paroles aux gens du pays, lesquels répondaient avec effusion, après quoi le caïd raha et le vice-consul de France procédaient au partage de la mouna, qui aurait été vite pillée par nos gens sans cette sage précaution. C’était toujours un amusant spectacle que l’arrivée et la distribution de la mouna, surtout lorsqu’une cinquantaine de plats blancs de couscoussou, portés par de jeunes garçons en costumes plus blancs encore, montaient processionnellement, sous les rayons blancs de la lune, jusqu’à notre camp. Mais, de toutes les mounas que j’ai vues, aucune n’aurait pu être comparée à celle du caïd Embarek. Cette fois, ce ne sont pas les souvenirs de Walter Scott, ce sont ceux de Cervantes qui me revenaient en mémoire, et je me demandais si je n’assistais pas aux noces de Gamache telles qu’il les a décrites en termes immortels. Je renonce à dire le nombre des méchouis et des couscoussous que nous envoyait le vieux cheik ; à chaque instant, il en apparaissait de nouveaux, si bien qu’on se demandait, quelque grande que fût sa maison, comment on avait pu y faire préparer une telle quantité de victuailles. Je n’oublierai jamais quatre couscoussous gigantesques, des couscoussous monstres, tels que je n’en ai admiré nulle part ailleurs : ils étaient si grands qu’il fallait huit hommes pour les porter. Qu’on se représente une immense couronne de pâte blanche, semblable à un turban de riz, au milieu de laquelle s’étalait un mouton entier ou une douzaine de poulets, le tout placé sur un vaste plateau,